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Rêves d’avenir qui s’écroulent, craintes directes pour le présent, prodromes de dissociation dans l’intérieur même de l’Empire, défaite psychologique par le succès inattendu de ses voisins, c’est ainsi qu’on peut résumer la situation morale et politique dans laquelle les événemens de Macédoine et de Thrace mettaient tout à coup l’Autriche-Hongrie. Elle se trouvait, toutes différences gardées, dans la position délicate et dangereuse de Napoléon III en 1866, au moment où il voyait grandir sur le Rhin la puissance formidable de la Prusse victorieuse ; elle n’a pas voulu renouveler la faute que l’histoire reproche à l’empereur des Français.

Voilà pourquoi le gouvernement de Vienne a mobilisé une forte partie de l’armée impériale.


IV

Il y eut quelque désarroi à la Ballplatz après les premières victoires des alliés qui dérangeaient des plans ingénieusement préparés ; on hésita sur les mesures à prendre et sur le but à atteindre. L’invasion du sandjak de Novi-Bazar par les Serbes et les Monténégrins, dès les premiers jours des hostilités, posait dès l’abord un premier problème. Allait-on, sans désemparer, occuper le sandjak que le comte d’Æhrenthal avait fait évacuer en 1909 au moment où il annexait la Bosnie-Herzégovine, interdire aux Serbes et aux Monténégrins de s’y installer, les obliger à porter la guerre plus au Sud. Plusieurs journaux l’avaient annoncé ; ils y voyaient un moyen de réparer la faute commise, selon eux, par le comte d’Æhrenthal, en renonçant aux droits que le traité de Berlin donnait à l’Autriche sur le sandjak. Mais le comte Berchtold se regardait comme engagé par le geste et la parole de son prédécesseur. D’ailleurs, c’est immédiatement après, ou même avant l’ouverture des hostilités, qu’il eut fallu entrer dans le sandjak pour y devancer les Serbes et, à ce moment, l’événement n’avait pas encore déjoué les calculs de la politique viennoise. Après la victoire des alliés, réoccuper le sandjak, c’eût été déchaîner la guerre. Quoi qu’il en soit, le souci du comte Berchtold de ne pas revenir sur la parole du comte d’Æhrenthal mérite d’être loué hautement : comme il arrive souvent, d’ailleurs, la loyauté a été, en cette affaire, l’avenir le prouvera, la suprême habileté. Dans l’intérêt de l’Europe, comme