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pour le moment, contentons-nous, en nous plaçant au point de vue autrichien, d’expliquer la politique de Vienne.

Le plus urgent était de consolider provisoirement les débris de l’Empire turc d’Europe, afin de prolonger la guerre assez longtemps pour que l’Autriche put conduire sa campagne diplomatique ; il fallait ensuite ressaisir la Roumanie qu’une fièvre agitait : ce fut l’objet du voyage à Bucarest du général Conrad von Hötzendorf, le chef d’état-major général de l’armée impériale. Eut-il mission de rappeler au roi Carol et à ses ministres des engagemens anciens ou d’étudier avec eux les meilleurs moyens de parer au danger que l’accroissement des Etats balkaniques devait faire courir aussi bien à l’Autriche qu’à la Roumanie ? Il importe assez peu de le savoir : ce qui est certain c’est qu’à partir de ce moment, la Roumanie commença à prendre quelques mesures militaires et se prépara à formuler ses revendications territoriales et ses droits à une compensation. Une campagne de presse adroitement conduite surexcita l’opinion roumaine contre la Bulgarie et, à propos de Silistrie, sema, entre les deux voisines que sépare le Danube, une mésintelligence dont l’Autriche seule peut tirer profit.

Le comte Berchtold ayant abandonné l’idée d’occuper le sandjak porta tout l’effort de sa politique sur l’indépendance de l’Albanie. Le terrain était bon pour la diplomatie autrichienne. Aux puissances qui arguaient des droits des nationalités slaves, elle pouvait répondre par les droits de la nationalité albanaise. En réalité, la « nationalité albanaise » n’existe guère que dans le cerveau de quelques douzaines d’Arnaoutes instruits ou d’étrangers ambitieux ; il y a cependant une population albanaise, bien distincte des autres peuples au milieu desquels elle vit et, en dépit du particularisme farouche où se complaisent les tribus et les clans de la montagne, il est permis de prétendre que les Albanais constituent une nationalité qui s’ignore encore elle-même mais qui commence à se chercher et qui ne tardera pas à se trouver[1].

Peu importe d’ailleurs à la politique autrichienne ; l’Albanie n’est qu’un prétexte commode pour justifier son intervention et elle n’est pas pressée, au contraire, de la voir constituer une nationalité forte et capable de se suffire à elle-même ; elle préfère

  1. Sur la Question albanaise, voyez notre article du 15 décembre 1909 ou notre livre : l’Europe et la Jeune-Turquie, ch. VI.