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l’armée est fidèle à son serment. — Cependant ce péril, dont il n’existe encore que des prodromes, le Cabinet de Vienne pourrait l’aggraver, s’il adoptait une politique anti-slave. Nous comparions tout à l’heure la situation de l’Autriche, en face des événemens balkaniques, à celle de Napoléon III en 1866 ; la comparaison est boiteuse. Napoléon III aurait pu, aurait peut-être dû, faire la guerre à la Prusse pour maintenir un équilibre européen favorable à la France, il ne l’aurait pas pu si vingt millions de ses sujets avaient été de nationalité allemande. L’Autriche ne peut pas faire une guerre contre les Slaves sans ouvrir une brèche dans l’édifice de l’empire des Habsbourg. Si elle s’aliénait sans retour les populations slaves qui habitent son territoire ou ses environs, toutes les ambitions qui guettent, autour d’elle, l’heure de sa désagrégation, se coaliseraient et mèneraient contre elle un assaut qui, trouvant des alliés dans la place, serait tôt ou tard victorieux : Roumains, Slaves, Italiens se trouveraient tout aussitôt alliés : selon la prédiction d’Albert Sorel, l’Autriche prendrait, dans le lit de « l’homme malade, » la place que la Turquie aurait laissée vide. La question d’Autriche serait posée.

Ces écueils, vers lesquels le parti militaire voudrait entraîner la politique de Vienne ; beaucoup d’hommes expérimentés et prudens, parmi les Allemands d’Autriche, les voient. L’un d’eux, le docteur Baernreither, ancien ministre, démontrait avec les meilleurs argumens, le 6 novembre, aux Délégations, qu’une entente avec la Serbie est nécessaire à la sécurité de la Bosnie et que la Serbie n’avait jamais pensé à réclamer un port sur l’Adriatique avant la guerre douanière maladroite que lui firent l’Autriche et la Hongrie en 1906[1] ; et il ajoutait : « Nous commettrions une très grande faute et nous compromettrions définitivement nos rapports avec les États balkaniques si nous prenions fait et cause pour les Albanais seulement, ou bien si nous voulions nous servir d’eux, ne serait-ce que diplomatiquement, pour prendre les Serbes à revers. » Fortes paroles, que l’avenir justifiera. Pousser l’Autriche à la guerre, la buter contre la Serbie dans un antagonisme sans issue, c’est le fait de ceux qui souhaitent la dislocation de l’Autriche, les pangermanistes par exemple, et, parmi eux, M. Wolff. Toute politique d’action militaire

  1. Voyez notre article le Conflit austro-serbe, dans la Revue du 1er février 1906 et notre ouvrage l’Europe et l’Empire ottoman, ch. IX.