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dans les Balkans ou contre les Slaves, met l’empire des Habsbourg à la discrétion des Hohenzollern. Toute conquête qui annexerait des Slaves, en accroissant leur nombre et leur influence dans l’Empire, donne du jeu au pangermanisme et détruit l’équilibre intérieur des nationalités, sans lequel l’organisme austro-hongrois ne peut pas vivre.

Nous avons, expliqué pourquoi il nous paraissait naturel que la politique austro-hongroise réclamât la constitution d’une Albanie indépendante. Mais le Dr Baernreither a raison de dire que si le Cabinet de Vienne voulait se servir de l’Albanie pour une politique d’hostilité contre la Serbie et de division parmi les États balkaniques, il s’engagerait dans une voie contraire à ses intérêts. Il ne ressaisira son influence politique et économique dans les Balkans que s’il a de bons rapports avec tous les États aujourd’hui alliés. Les victoires et les conquêtes des quatre petits royaumes vont être suivies d’une ère féconde de travail et d’organisation économique ; des débouchés nouveaux vont s’ouvrir au commerce et à l’industrie européenne, et l’Autriche-Hongrie est bien placée pour en profiter. La Turquie ne travaillait pas, mais elle consommait peu ; les États balkaniques travailleront beaucoup, mais ils consommeront aussi davantage et ils ne pourront se passer du concours des grands pays industriels et producteurs. Une crise économique très meurtrière sévit dans tout l’Empire par suite de la fermeture momentanée des anciens marchés de la Turquie d’Europe ; la situation des finances de l’Autriche n’est pas bonne, puisqu’elle n’a pu, dernièrement, contracter un emprunt de 250 millions, en Amérique, qu’à un taux d’environ 7 pour 100. Pendant que l’Autriche s’attarde à disputer aux Serbes quelques morceaux de Vieille-Serbie ou de Macédoine et dépense des sommes énormes à maintenir son armée sur le pied de guerre, les Italiens, sans bruit, travaillent à supplanter son commerce dans les ports de la péninsule. L’Autriche a tout à gagner à mériter les sympathies et la confiance des États balkaniques. On en peut dire autant de la Roumanie. Aucune rectification de frontière ne peut valoir, pour la Roumanie, l’amitié de la Bulgarie qu’elle risque de s’aliéner à une heure historique où les Bulgares n’oublieront ni ceux qui les auront aidés, ni ceux qui les auront entravés, et où elle-même va se trouver conduite à modifier les principes directeurs de sa politique.