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illimitée et à peine sillonnée par la courbe des peupliers au long d’un canal, qu’elle soit, — comme autour de Gand, de Termonde, de Saint-Nicolas, — fractionnée par les multiples fossés plantés d’arbustes, limite la vie du rural, le rend inattentif à l’imprévu du lendemain, résigné à la monotonie de l’existence, le courbe sans rémission sous le fouet des intempéries, l’identifie lui-même au sol mou, humide et gris, producteur de végétaux et de céréales plus que de bétail. Gras, musclé, paisible et fort, le Flamand regarde devant lui, vers le sol. Il semble redouter de faire entendre au dehors l’éclat d’une voix malhabile aux nuances. Il vénère les forces de la nature dont il cherche lui-même à s’approprier la rudesse et la fécondité. Il associe à ses croyances religieuses cette vénération obscure qui le courbe sous la puissance divine, seule maîtresse des élémens. Il profite, copieusement, de ce que produit la terre, car il le sent obtenu par un labeur énorme. Quand il mange, c’est largement, enfournant à grande lampée l’aliment gras qui lui fait une chair saine et rose insensible au froid comme à la chaleur. Il ne quitte point volontiers la terre et ne le fait que par nécessité, car la terre est limitée et fractionnée. Il demeure aussi longtemps qu’il peut dans son village, car la ville continue à lui inspirer une répulsion invincible, et le paysan, sain, vertueux et probe, redoute, à l’égal d’une violation de la terre, la cheminée d’usine dont les émanations corrompent l’air, l’agglomération ouvrière dont les vices émasculent la race.

À mesure que l’on descend vers Bruxelles, la terre se fait plus riche, mais aussi plus ondulée ; la culture est moins morcelée, des bois étendus surgissent entre les champs, et une dépression rapide conduit vers de secrètes rivières. La séparation entre gens des villes et gens de la campagne est moins rigoureuse ; à mesure surtout qu’on s’oriente vers le Sud, la courbe du paysage s’accorde avec une sociabilité naturelle des gens, et, comme le langage et l’aspect des habitans diffèrent, on s’aperçoit qu’on est en Wallonie en même temps qu’on s’aperçoit qu’on abandonne les plaines rigoureuses. Des rochers apparaissent, le schiste s’effeuille au flanc des coteaux. Il n’est presque plus de bourgs sans usine et, au cœur des plus riantes vallées, apparaît l’outrage multiplié des hauts fourneaux, des terrils charbonniers, des cheminées fumeuses. Après Namur, au delà de Jemelle, voici cependant le domaine des forêts et