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des hauts plateaux déserts. On croirait trouver ici une population arriérée et primitive. C’est tout le contraire.

Le Luxembourg offre la moindre proportion d’illettrés et c’est ici que se recrutent le plus de professeurs et de fonctionnaires. Ainsi on saisit d’emblée la caractéristique du Wallon et ce qui le différencie le plus du Flamand ; le souci du perfectionnement individuel, de la culture désintéressée s’allie à la variété du sol, à son aspect pittoresque et au goût de mouvement qu’on y puise. Car l’horizon change en Wallonie à chaque modulation du terrain. Le rural, pour passer d’un champ à un autre, change aussi d’horizon, de lumière, de sensibilité. Il en éprouve un besoin irrésistible de révéler ce qu’il sent et il parle beaucoup. Le travail ne va pas chez lui sans rires, sans chanson. Il s’accommode du voisinage de l’industrie comme d’un compagnonnage plus facile et plus nouveau ; il mange un peu à toute heure du jour, pour faire diversion ; il est sec, nerveux et petit, volontiers frondeur ; raisonneur, il discute même avec Dieu, et versatile, il le demeure jusque dans ses amours.


II

Le paysage belge évolue, sans doute, par une gradation lente et presque insensible. Si de la Barrière de Champion, par exemple (qui est, entre Marche et Bastogne, Saint-Hubert et Laroche, un point caractéristique des Ardennes), on se sent à mille lieues de Aeltert (qui est un village entre Bruges et Gand), le chemin pour aller d’un endroit à l’autre ménage les transitions. Il n’en est pas de même pour la sensibilité des habitans. Le Wallon diffère du Flamand dès qu’on a franchi la frontière mystérieuse ; certaines localités sont coupées en deux de telle sorte qu’elles ont comme deux visages. Parmi la foule, même en fermant les yeux, rien qu’à écouter un rire, un chant, une conversation, on peut reconnaître les deux accens, les deux terroirs. Aussi, la parenté entre le sol et l’homme, bien qu’évidente, n’explique point, à elle seule, la permanence du double atavisme. La vie régionale, l’éducation entretiennent, à leur tour, cette double originalité. Une grande ville comme Bruxelles, capitale et centre cosmopolite, a pu perdre, et pour son plus grand profit, le caractère flamand que d’aucuns auraient