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vigoureusement dès que la température se relève. Pareillement et pour ne citer qu’un autre exemple, le bacille pyocyanique de Charrin, après des semaines d’immersion dans l’air liquide, recommence à sécréter, comme si de rien n’était, la matière bleue qui lui a donné son nom.

Certains savans ont même apporté des raffinemens étonnans dans cette manière brutale de traiter les microbes : on les a fait refroidir puis réchauffer alternativement un très grand nombre de fois, les plongeant dans l’air liquide puis sans transition dans l’eau à + 50". Rien n’y a fait. Ramenés une dernière fois à la température ambiante, ils étaient aussitôt prêts à recommencer leurs exploits.

Toutes ces expériences sur les spores, les graines, les bactéries, reprises plus récemment dans l’hydrogène liquide, puis à la température de l’hélium liquide qui touche le zéro absolu, ont conduit aux mêmes résultats. Le froid le plus extraordinaire ne supprime pas la vie chez ces êtres : il la suspend seulement, comme fit la vieille fée de Perrault dans La Belle au bois dormant ; ils conservent alors à l’état latent et prête à renaître leur vitalité des temps pratiquement indéfinis.

A cet égard, l’expérience de Paul et Bail est particulièrement frappante. : ils employèrent des formes végétales à l’état sec (et non des spores) de staphylocoques, qui sont des bactéries. Or, tandis qu’à la température ambiante, ces êtres mouraient après trois jours environ, leur vitalité n’était pas diminuée d’une façon sensible après des mois passés à la température de l’air liquide.

Un savant genevois, M. Pictet, prétend avoir réalisé récemment des expériences analogues et fort suggestives sur des animaux supérieurs, grenouilles et poissons. N’arrivera-t-on pas, dans un avenir moins lointain qu’on ne pense et en se plaçant dans des conditions favorables, à opérer de même sur l’homme en prenant des précautions spéciales ? Ce n’est point impossible, et l’ « Homme à l’oreille cassée » apparaîtra peut-être à nos descendans comme une prophétie géniale. Voilà qui eût bien étonné l’humoriste qu’était About. Ce jour-là, ceux qui jugeront maussade l’heure présente se feront porter en cérémonie au frigorifique, en priant par testament leurs arrière-petits-neveux de les réveiller deux ou trois siècles plus tard, quand la vie sera devenue plus drôle. Le malheur est que, pour beaucoup d’hommes et quel que soit le siècle, l’heure maussade est toujours celle qu’il faut vivre.

Mais, sans vouloir insister sur ce rêve, qui est moins une fantaisie qu’une extrapolation audacieuse sinon illogique des études biologiques récentes sur le froid, il convient de remarquer que celles-ci touchent à