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ses actes avaient réveillé et flatté chez elle d’anciennes énergies. Aussi M. Poincaré était-il populaire. L’était-il dans le Parlement autant que dans le pays ? C’est une autre question. L’accord n’est pas toujours parfait entre le Parlement et le pays, mais quand l’opinion de celui- ci se manifeste d’une certaine manière, l’autre est bien obligé de s’y conformer, surtout lorsqu’il est à quinze mois des élections générales. C’est pourquoi M. Poincaré a été le candidat du pays et l’élu du Congrès. Il en résulte pour lui une double autorité dont nous sommes heureux de le voir disposer, car il en aura besoin au cours de son septennat.

Les grandes espérances qu’il a suscitées peuvent même devenir un danger pour lui. Avouons-le, il aura quelque peine à les satisfaire toutes. On a dit souvent, et avec raison, que le Président de la République a plus de pouvoirs qu’il n’a pris l’habitude d’en exercer ; mais ces pouvoirs, qu’on aime en ce moment à énumérer, il ne peut en user que par l’intermédiaire de ses ministres qui sont seuls responsables. La vie d’un Président créé par les Chambres à leur image, à leur mesure, est facile ; celle d’un Président fait à l’image du pays l’est moins, si l’image du pays ne ressemble pas à celle des Chambres. Il ne faut pas trop demander à M. Poincaré, et, en tout cas, ce qu’on attend le plus légitimement de lui, il ne faut pas lui imposer l’obligation de le réaliser du jour au lendemain. L’impatience est le plus souvent une maladresse. Un jour vient toutefois où on s’aperçoit qu’un changement, après s’être fait dans les idées, est passé dans les faits eux-mêmes. En veut-on un exemple ? Nous le trouverons dans cette « discipline républicaine, » que MM. Clemenceau et Monis ont invoquée pour exiger de M. Poincaré le retrait de sa candidature parce qu’elle avait eu quelques voix de moins que celle de M. Pams à la réunion dite plénière du parti républicain. MM. Clemenceau et Monis parlaient un vieux langage qui, il y a quelques années encore, aurait exercé un puissant empire, mais qui aujourd’hui sonnait comme un anachronisme : il a été sans effet, on s’en est même moqué. Sans doute il ne s’agissait pas ici d’une prescription constitutionnelle ; mais la Constitution elle-même, immobile dans son texte, peut prêter, dans l’application, à des interprétations plus souples. Un homme doué par lui-même d’autorité et qui en puise une nouvelle dans la popularité dont il jouit peut assurément plus qu’un autre, s’il a par surcroit de l’habileté, du tact, de l’à-propos dans le choix des occasions. Qu’on ne demande pas toutefois à M. Poincaré de faire des miracles : c’en serait un si, du jour au lendemain,