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jusqu’à payer leur fidélité de leur ruine ! On objecte les longues luttes avec les Iroquois, qui mirent, plus d’une fois, la colonie à deux doigts de sa perte ; on reproche à Champlain d’avoir pris parti dans les querelles de ces peuples et d’avoir tiré le premier coup de fusil qui alluma des hostilités inexpiables avec les peuplades de l’intérieur. Mais l’état de guerre était endémique bien antérieurement entre les tribus elles-mêmes. Les indigènes qui s’acharnèrent contre les établissemens français y furent poussés par les colonies européennes voisines et rivales : c’est l’Europe qui transporta ses querelles sur le nouveau continent. La colonisation française sut ménager les habitans du Canada et se glisser en quelque sorte, sans coup férir, au milieu d’eux. Ce don n’est plus guère contesté à notre race ; il était affirmé, il y a quelques mois à peine, par un ministre anglais, à propos des colonies françaises contemporaines en Afrique ; on dirait qu’il s’agit de nos colonies d’Amérique au XVIIIe siècle. « Je puis vous assurer que c’est l’avis général des auteurs britanniques, — et ils sont nombreux et bien renseignés, — au sujet de la colonisation française dans le Nord et l’Ouest de l’Afrique, que, rarement et peut-être jamais dans l’histoire humaine, une nation civilisée n’a eu un succès plus général dans le gouvernement des peuplades arriérées, n’a été plus sympathique dans son traitement des aborigènes ou n’a mieux réussi dans leur développement économique que la nation française[1]. »

Les établissemens français dans l’Amérique du Nord furent, de l’aveu de tous, parfaitement conçus et solidement fondés. Pour les emplacemens des futures villes et métropoles, les décisions sont, du premier coup, définitives et géniales. Le Saint-Laurent et le Mississipi sont les plus belles artères du continent septentrional. Québec, Montréal, Ottawa, Saint-Louis, Saint-Paul, la Nouvelle-Orléans sont des lieux prédestinés. Un auteur trouve même, dans cette divination des points historiques, un des traits déterminans de l’aptitude colonisatrice des Français. Champlain est, à ce point de vue, un type national bien caractérisé. Il a ce qui s’appelle chez nous le coup d’œil, c’est-à-dire le jugement, l’autorité et la vue de l’avenir : ces qualités ne vont pas sans un haut désintéressement.

  1. Discours prononcé par M. Herbert Samuel, ministre des Postes britanniques, au banquet de la Chambre de Commerce britannique de Paris, le 22 octobre 1911. — Cité par Garneau. Appendice XVII, p. 10.