Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On peut louer également la vigoureuse emprise que le Français exerce sur le sol pour la mise en valeur économique des territoires qui lui sont échus. La Nouvelle-France n’a pas l’attrait des mines, des métaux précieux, des substances rares et chères, des produits à cueillette facile et à rendement énorme. Tout, ici, demande l’effort. Même les entreprises les plus fructueuses, celles qui excitent, particulièrement, la cupidité des compagnies, des capitalistes, des monopolistes, — attirés d’ordinaire par les proies réputées faciles, — en particulier la pêche et la traite des fourrures, ces entreprises ne peuvent être poursuivies sur les lieux qu’au prix d’une lutte constante et douloureuse contre le climat, la distance, la mer, la terre, les animaux et les hommes. Le gain ne s’obtient que par un labeur patient et quotidien et de petits triomphes successifs ; or, cela convient encore au Français. Il s’adonne à la corvée ingénieuse de chaque détail avec une sorte d’enthousiasme intime, et c’est un délassement du corps et de l’âme, pour lui, que ces luttes sans répit contre toutes les forces de la nature.

Et, pourtant, ce n’est pas là le véritable succès économique de la colonisation française : le Français est, avant tout, — il y a trois siècles comme aujourd’hui, — un défricheur, un cultivateur. Quand il s’agit de se mesurer avec la terre, même et surtout avec une terre neuve, farouche et résistante, il ne se sent pas de joie : bûcheron, vigneron, laboureur, herbager, sur quelque sol que ce soit et de quelque outil qu’il faille se servir, il y marquera son empreinte. Le colon des « nouvelles Frances » est, en cela, un vrai fils du paysan français. « Labourage et pâturage, » la devise de Sully, il la transporte, en dépit de Sully lui-même (si peu colonisateur), partout où il met le pied.

Au Canada, la condition essentielle de tout établissement, c’est l’accès à la mer ou au fleuve ; aussi, la colonie, agglomérée d’abord autour des centres, Québec, les Trois-Rivières, Montréal, par la nécessité de se grouper contre les Iroquois, s’aligne toujours le long du fleuve en bandes étroites s’enfonçant dans la profondeur du pays. Le bûcheron va droit devant lui, cherchant, toujours plus loin, un sol neuf, mais gardant le contact avec le « chemin qui marche » d’où il reçoit les marchandises européennes et par où il exporte au loin ses produits. A la fin du XVIIe siècle, après l’intendance de Talon, le sol canadien est une étoffe sillonnée de raies verticales appuyées sur le Saint-Laurent.