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et qui, si la place ne leur est pas faite au loin, ébranleront, de leur violence contenue, la stabilité de la mère patrie. Un pays sans guerres et sans entreprises lointaines entasse les causes de trouble en dedans de lui-même. Il faut faire au goût du risque sa part : s’il ne se répand pas au dehors, il explose à l’intérieur.

Les générations les plus rassises n’ont pas absolument étouffé en elles l’instinct migrateur et nomade naturel à l’homme comme à la plupart des animaux vivant en troupes. Dirigé, orienté vers les colonies, il essaime de nouvelles patries : sinon, il s’égare et se perd. A toutes les époques de l’histoire, la vitalité et la grandeur des peuples, leur aptitude à la survie s’est affirmée par la création de familles coloniales, souvent plus fortes et plus prospères que les familles métropolitaines qui leur avaient donné naissance.

Qu’est-ce que la Grèce, sinon une colonie de l’Asie Mineure ? et elle-même n’a-t-elle pas projeté au dehors la Grande-Grèce, et toutes ces villes méditerranéennes, métropoles et civilisations qui lui ont survécu ? La Gaule, l’Ile de Bretagne, la Germanie sont des colonies romaines. César et ses successeurs ont fondé, sur les bords du Rhône, de la Seine, de la Tamise et du Rhin, de nouvelles Romes. Renoncer à l’expansion coloniale, c’est, pour un grand peuple, rompre avec l’avenir.

L’histoire des temps modernes, depuis les Croisades, les conquêtes des Normands, les navigations de Vasco de Gama et de Christophe Colomb, est une histoire coloniale. Le Portugal, l’Espagne, la Hollande, l’Angleterre, la France ont suivi, dans leur ascension ou dans leur déclin, le graphique de leur expansion lointaine. Axiome : plus un peuple se dépense au dehors, plus il s’accroit en dedans ; plus il peuple, plus il se peuple. Les familles ont des enfans quand elles savent qu’en faire. Le problème de la population est joint si étroitement au problème de l’expatriation que les races les moins fécondes deviennent prolifiques dès qu’elles sont transplantées sur un sol nouveau. Ouvrez devant elles l’espace, elles l’occupent.

Je note l’objection dernière : les ressources que les conquêtes coloniales dépensent au loin sont nécessaires pour la défense de la mère patrie : la France n’est ni assez riche, ni assez forte pour mener de front les deux politiques. Il arrive toujours une heure où la parole de Mme de Pompadour, dans sa brutale crudité, devient le mot de la situation, c’est-à-dire de la