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déjà commencé la procédure de divorce ; qu’il était depuis plusieurs années l’amant de miss Robbins, à laquelle il avait même fait cadeau d’un hôtel et d’une villa, et que, maintenant, il se disposait à l’épouser ! Mais il avait disparu de New-York, et l’oncle, qui voulait intervenir en faveur de Mme Feldmann, n’avait pas réussi encore à le voir. À la lecture de ces télégrammes, Mme Feldmann s’était évanouie ; puis, quand elle avait repris connaissance, elle avait déliré, crié, pleuré désespérément pendant plusieurs heures.

Bouleversé, je demandai à l’amiral ce qu’il pensait de tout cela. Il haussa les épaules et répondit :

— Je n’y comprends goutte !

Le second coup de cloche nous appela au dîner. La conversation tomba tout de suite sur les fâcheuses nouvelles qui couraient au sujet de Mme Feldmann. La fausseté même de ces nouvelles amena l’amiral à les rectifier, quoique avec discrétion. Mais la curiosité s’alluma. Comment expliquer un cas si bizarre ? À mon tour, je commençai à raconter quelques-uns des épisodes que Mme Feldmann m’avait confiés, le jour de la tempête. Pressé par les assistans, je finis même par leur dire toute l’histoire du ménage, à partir de la spéculation du Great Continental. Je croyais ébahir l’assistance en annonçant que les Feldmann possédaient cent millions. Mais Alverighi demanda avec désinvolture :

— Cent millions de dollars ?

Un peu déconcerté, je dis que c’était cent millions, non pas de dollars, mais de francs.

— Alors, fit-il avec dédain, ce n’est pas grand’chose.

Nous nous mimes à rire ; mais lui, très sérieux :

— Cent millions de francs ? Un homme qui en possédait déjà sept quand il est venu en Amérique, et qui, au surplus, a épousé une femme riche ? Moi aussi, j’espère bien laisser cent millions à mes enfans, et j’ai débarqué en Amérique avec deux mille francs dans ma poche !

Je ne m’attardai pas à discuter ce point et je continuai le récit des dissentimens qui s’étaient exaspérés de jour en jour entre les époux, le scandale du Great Continental, le mariage de la fille, la confiance accordée par Mme Feldmann à miss Robbins, la noire trahison de celle-ci. Je fus écouté en silence, et, lorsque j’eus terminé, tous les assistans, perplexes et un peu embarrassés,