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rencontrai Lisetta qui, très vite, presque en courant, passa à côté de moi, l’air préoccupé. Au moment où j’allais ouvrir la porte de ma cabine, je vis le médecin monter en grande hâte à l’étage supérieur. J’entrai dans ma cabine, et, tandis que je changeais de vêtemens, j’entendis la sonnette sonner longuement et rageusement dans le couloir, et la femme de chambre du bord crier : « J’y vais ! j’y vais ! » sur un ton où l’impatience se mêlait à l’inquiétude. « Que se passe-t-il ? » me dis-je. En sortant, je rencontrai cette femme de chambre qui descendait, et je lui demandai si quelqu’un était malade. « Oui, me répondit-elle. Cette dame américaine n’est pas bien. » Je rejoignis ma femme sur le pont, où les mercantis faisaient leurs paquets pour s’en aller : car l’heure était proche où on lèverait l’ancre. Mais déjà d’étranges et confuses nouvelles circulaient parmi les passagers étonnés et perplexes, à savoir que Mme Feldmann avait reçu des dépêches terribles ; et ces dépêches lui annonçaient, selon les uns, la mort de son mari, selon les autres, la faillite de la banque. Je cherchai l’amiral. Mais la femme de chambre me dit qu’il était dans la cabine de Mme Feldmann.

Six heures avaient sonné ; le charbon était dans les cales ; plusieurs centaines de caisses de bananes, chargées à destination de Gênes, encombraient l’avant ; la baie se constellait de lumières. Coups de sifflet, tintemens de cloches. Puis, lentement, le Cordova se mit en marche. Tandis que je me promenais sur le pont en attendant l’amiral, non sans une impatiente curiosité, je vis s’éloigner peu à peu les lumières de Las Palmas. Enfin, lorsque sonna le premier coup de cloche pour le dîner, l’amiral parut, mais il avait la consternation sur le visage.

— M. Feldmann divorce, me dit-il, pour épouser une personne qui a été à leur service, je ne sais à quel titre, comme femme de chambre, comme institutrice ou comme infirmière...

— Miss Robbins ? m’écriai-je.

— Précisément. Comment avez-vous deviné cela ?

Je résumai à l’amiral ce que Mme Feldmann m’avait confié au sujet de miss Robbins. J’avais négligé de lui en parler, lorsque je lui avais rapporté mes entretiens avec cette dame, tant ces détails me paraissaient avoir peu d’importance. A son tour, il me raconta brièvement que, parmi les nombreux télégrammes reçus, il y en avait deux, fort longs, de l’avocat de Mme Feldmann. Ces télégrammes disaient que M. Feldmann avait