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équivaudrait au néant d’être et au néant de plus-être, — ce que Nietzsche a méconnu en méprisant la conscience, — il en résulte que la tendance au plus-être se traduit nécessairement par la tendance à plus d’être conscient et, du même coup, à plus de bien-être, le mieux-être étant le plus-être senti. C’est alors, au lieu de l’éternel repos, le principe d’une éternelle inquiétude, « l’une marche en avant, d’une évolution non plus seulement mécanique et quantitative, comme celle de Spencer, mais interne, qualitative et novatrice. » Ainsi l’idée-force unit en soi deux notions contraires et également nécessaires, persévérer et changer. Elle n’est pas quelque chose de fixe, d’immuable, de tout fait ; elle n’est pas davantage pure mobilité ; elle n’est ni un astre immobile, ni une étoile filante. Sa faculté de changer ne se conçoit pas sans quelque élément de persistance ; sa persistance ne se conçoit pas sans quelque faculté de devenir. La volonté est à la fois durable et changeante, durable par la pensée de soi qu’elle enveloppe, changeante par la pensée des objets auxquels elle s’applique. Elle n’est donc pas une volonté instinctive et aveugle ; elle n’est pas étrangère en son fond à l’intelligence, comme le « vouloir vivre » de Schopenhauer. Ces trois fonctions inséparables la caractérisent : 1° la volonté de conscience est en relation avec d’autres objets, avec d’autres sujets également doués de conscience ; le moi ne prend conscience de soi que par des rapports avec d’autres êtres ; il n’est jamais » solitaire ; » il est toujours « solidaire, » ce que Fouillée formule par cette maxime. « Penser, c’est agir avec le sentiment des bornes de son action et de ses points d’application ; » 2° la volonté intelligente jouit sans cesse d’elle-même et de son développement, elle s’épanouit en même temps que la sensibilité ; 3° la volonté tend à agir pleinement, à faire complètement ce qu’elle fait.

De là une théorie originale de la liberté, qui a beaucoup contribué à répandre la réputation d’Alfred Fouillée. Les circonstances où paraissait sa thèse sur la Liberté et le Déterminisme en faisaient l’intérêt plus prenant encore. C’était en 1872, alors que toute une génération, après les douloureux événemens dont la nation était meurtrie, s’apprêtait à vérifier les idées qui avaient enivré sa jeunesse. La science avait enseigné l’enchaînement rigoureux de tous les phénomènes, la rigueur de la loi de cause à effet, l’universel déterminisme. Fallait-il s’incliner.