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nous est le plus intérieur. La volonté de conscience est ce que Fouillée nomme une « réalité pour soi. » De l’impossibilité de la définir, il ne conclut pas qu’elle n’existe pas, mais qu’elle ne fait qu’un avec nous-mêmes. « Par la volonté de conscience, dit-il, nous plongeons dans le réel, non dans le pâle royaume d’apparence derrière lequel se cacherait à jamais ténébreux pour nous le champ élyséen des réalités. » Et comment ne pas remarquer, en lisant ces explications, à quel point Fouillée, qui devait plus tard s’en éloigner, s’est rapproché ici des idées psychologiques que James devait mettre en honneur, du courant continu de la conscience, de la donnée immédiate bergsonienne ?

Quel est l’objet de cette volonté de conscience ? Elle ne cherche rien qui soit étranger à notre personne : elle tend constamment au contraire à conserver et à accroître toutes les fonctions de l’activité consciente. La biologie et la psychologie sont ici d’accord pour découvrir dans tout être animé un effort pour persévérer dans l’être, un vouloir-vivre. Mais un monde où il n’y aurait que la tendance à persévérer dans l’être, serait un monde immobile, d’où il ne sortirait jamais rien de nouveau. Avec la volonté de se conserver, tout être a la volonté de s’accroitre, et avant Nietszche, Alfred Fouillée a défini la vie un perpétuel essor en avant. Mais la différence avec Nietzsche est assez visible. Il ne s’agit pas d’un essor qui se suffit à lui-même, d’un vouloir vide, d’une volonté de puissance sans objet. « Changer pour changer, écrivait déjà l’auteur dans la Liberté et le Déterminisme, est chose inintelligible ; car un changement absolu qui ne laisserait de lui-même aucune trace permanente serait équivalent au repos absolu. L’être, emporté par une continuelle vicissitude, recommencerait à chaque instant et ne laisserait aucun résultat de son travail ; en paraissant agir et faire quelque chose, il ne ferait rien... L’activité, en un mot, n’est ni un avare imbécile qui ne songerait qu’à garder son trésor, sans vouloir en faire usage et sans même songer à l’augmenter, ni un prodigue qui volerait de dépense en dépense sans rien garder, emporté dans une existence mobile et dans un perpétuel changement. » Et bien longtemps après, précisant la même idée, il s’est expliqué en ces termes très clairs : « La tendance à l’être doit donc être complétée par la tendance au plus-être. Et comme le plus-être, s’il demeurait entièrement inconscient,