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qu’il ignorait ; il pouvait réaliser les idées les meilleures, contribuer à sa propre amélioration ; chacun était en quelque mesure le poète de sa destinée, et participait ainsi au chœur immense de ceux dont les bonnes volontés forment l’univers. L’étude de l’esprit humain amenait le philosophe, par une démarche naturelle, à l’étude des questions de morale.


Bien des années de travail cependant ont passé avant qu’Alfred Fouillée publiât le livre où il a rassemblé toutes ses idées sur la morale. Dès sa thèse de 1872, il était visible que la philosophie des idées-forces contenait pour l’auteur une véritable éthique. La Critique des systèmes de morale contemporains, publiée en 1887, le faisait deviner davantage encore. C’est en 1907 qu’Alfred Fouillée a publié la Morale des Idées-forces où se trouve exposée sa doctrine. Cette morale, il est à peine besoin de le dire, est étroitement liée à la psychologie. L’examen de la vie de l’esprit a révélé en particulier deux faits : l’un, c’est qu’il n’est pas possible à un individu de prendre conscience de soi sans avoir conscience d’autrui, sans concevoir les autres par analogie avec soi-même, et sans se concevoir par rapport à eux ; et le second, c’est que toute idée est en même temps une force impérative. L’observation de nous-même nous révèle donc notre rapport avec autrui, et ce rapport, dès que nous le connaissons, nous oblige à agir dans un certain sens. Connaître notre relation avec les autres êtres, c’est déjà avoir de la sympathie : or il suffit que l’idée de sympathie, que l’idée de désintéressement existe pour que la morale commence d’être.

Cette origine des idées morales a une très grande importance pour Fouillée parce qu’il prétend, là comme ailleurs, partir de l’expérience. Il se défend de faire de la métaphysique, il ne veut pas de la théologie déguisée de Voltaire qui a recours à Dieu pour lui demander d’être la raison d’être de l’obligation morale, ou de Kant qui, pour fonder la morale sur l’impératif catégorique, a besoin de l’assimiler à une loi divine. Il se rapprocherait beaucoup plus des écoles empiristes qui expliquent tant bien que mal la morale par des sentimens innés, les uns par l’amour-propre, les autres par la sympathie, ou par le besoin de dépenser une vie surabondante, si toutes ces théories rendaient compte du caractère obligatoire de la loi morale. Pour