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matérialisme fera cette révolution, mais à la place d’une croix il fera briller sur son labarum un scalpel. » Ce nouveau symbole ne lui paraît pas du tout rassurant. Il fait leur part, et une part considérable, aux lois sociales, à la condition qu’il y ait autre chose. Les démocraties n’ont que trop de tendance à être utilitaires, à se servir de l’égalité politique pour un nivellement social, et à confondre cette égalité même avec la négation des supériorités. Finalement, il met sa confiance dans une idée assez difficile à bien définir, la « piété sociale, « qui se développe, dit-il, par l’étude de la morale, de la politique et de l’histoire. Le problème politique, comme le problème moral, lui parait donc en définitive être un problème d’éducation.

De là l’importance que Fouillée attache à tout ce qui est éducation. Une grande partie de l’œuvre du philosophe, et non la moindre ni la moins durable, est consacrée à la pédagogie, à l’enseignement, à la culture. Fouillée n’est pas loin de penser comme Socrate, quoique dans un sens un peu différent, que nul n’est méchant volontairement, et que la vraie cause du mal est l’ignorance du bien. Si l’on se rappelle la maxime : Je pense, donc nous sommes, on s’aperçoit que la conscience suppose la conscience d’autrui ; l’égoïsme est ruiné par la seule logique, et l’immoralité est avant tout un manque de rationalité. Pour l’individu comme pour la société, il est bon, il est nécessaire que chacun prenne connaissance des idées-forces qui le conduiront à une vie morale et à une vie sociale. La grande œuvre, c’est donc l’éducation, qui est le moyen de faire vivre chez l’enfant « les idées-forces de la collectivité, parvenue de siècle en siècle à une maturité plus grande. » Nietzsche a bien tort de croire que la culture, la civilisation ont pour effet de diriger le goût général contre l’exception, de favoriser la moyenne et d’être par conséquent ennemies de l’individuel, protectrices de la médiocrité. Fouillée voit dans l’enseignement au contraire le moyen de faire communiquer l’individu avec tout ce qui s’est fait avant lui, avec tout ce qui se fait de son temps, de le rendre, dans la plénitude du sens qui s’attache à ce mot, plus humain.

Comme éducation, la science aura un rôle éminent, parce que, précisément, elle est désintéressée. Concevoir des vérités supérieures à soi-même, déportée sociale, universelle, c’est sortir de soi, tout en accroissant sa personne. « Un Pasteur, qui a le