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cœur rempli d’objets dépassant son ego, accroît du même coup sa propre puissance d’esprit. » Fouillée tient à marquer ce double effet de la culture scientifique et d’ailleurs de toute culture, qui est de rendre l’individu plus social, et en même temps de faire de cet être social une personnalité plus forte. L’éducation doit entretenir l’idée que la science est active et non machinale, qu’il y a un moi supérieur capable d’agir librement, et qui est responsable. Et Fouillée est sévère pour « les demi-savans » qui raillent et proscrivent les idées de liberté et de responsabilité en ce qu’elles ont de juste et de possible ; il les traite de pseudo-savans qui veulent transformer en machine un être pensant, sans se demander s’il n’y a pas des élémens de réalisation, des chances de progrès dans les idées d’autonomie et de liberté qui ont de tout temps dirigé l’humanité intelligente.

Mais l’étude des sciences, dont il savait le prix, ne lui suffisait pas. Il en craignait même l’abus, disant que la rigueur des méthodes risque de dispenser ceux qui s’en servent d’avoir l’esprit assez rigoureux, et redoutant l’homme qui a des formules pour tout expliquer. L’enthousiasme pour les formules scientifiques entraine à un fanatisme pratique, où se perd le sens des réalités. Que serait une société par exemple où les physiologistes et les anthropologistes appliqueraient leurs théories et remplaceraient la justice pénale par une étude des coupables, aboutissant à classer les prévenus dans des catégories médicales et à leur laisser ou leur ôter la liberté pour des considérations tirées de l’anthropologie ? L’étude des lettres paraissait à Fouillée indispensable à la formation d’un homme. On sait combien il a combattu pour les humanités et quelle part il a prise aux enquêtes ouvertes au moment de la révision des programmes scolaires. Il a toujours gardé à la discipline classique un grand attachement. Bien qu’il ait été prêt à quelques concessions au sujet du grec, il jugeait que le grec et le latin avaient une valeur éducative que rien ne pouvait remplacer ; il leur était reconnaissant d’être dos barrières élevées « devant les médiocrités ou les nullités d’ordre primaire ou d’ordre moderne, pour les empêcher d’envahir les hautes professions libérales ; » il protestait avec véhémence contre les invasions successives de l’enseignement moderne, qui n’étaient pas l’œuvre de l’Université, mais celle du Parlement ; il disait même, lui, partisan de la démocratie,