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par delà la conclusion de l’auteur, celle de la vie ? A cette minute du premier enivrement, Jeanne, qui n’est plus féministe, s’applaudit de l’avoir été, puisque le féminisme lui a servi de transition entre un mariage qui lui déplaisait et un autre qui lui apparaît tout en rose. Repassons dans quelques années ! Lehelloy est un traditionaliste ; pour l’instant, il fait bon marché des préjugés sociaux et religieux : « Vous ne serez pas reçue par ma vieille voisine, la marquise de Couroy, dont vous voyez le beau château là-bas... En revanche, elle a fait son amie intime d’une vieille danseuse galante qui a rôti tous les balais... mais veuve et remariée... pour qui les cloches ont sonné. Religion ! Société ! » Un jour, cela ne lui sera pas du tout agréable que Mme Lehelloy ne soit pas reçue dans les beaux châteaux des environs. Il en voudra à la religion et à la société, mais aussi à Mme Lehelloy. Il en concevra contre elle quelque aigreur. Ce Lehelloy est un homme qui aime les femmes : cela n’est pas du tout rassurant pour la femme qu’on aime. Il a de la douceur et de la bonne grâce, qui se concilient souvent avec un égoïsme foncier et féroce. Et il ne fait rien ; c’est un oisif et un dilettante. Le premier mari de Jeanne était très occupé ; les occupations du mari, c’est la sécurité de la femme. Je crains que Jeanne n’ait perdu au change. Féminisme d’aujourd’hui ou romantisme d’hier, revendications intellectuelles ou droits de la passion, autant de mirages auxquels les éternelles imprudentes sacrifient le bonheur qu’elles avaient sous la main ; car on les appelle des éclaireuses et ce sont des gâcheuses. Ou plutôt la lumière qui les attire et qui leur donne cet air de se mouvoir dans de la clarté, c’est un feu destructeur où elles viennent brûler leurs ailes inquiètes de papillons égarés.

La pièce de M. Donnay, un peu lente et qui aurait gagné à être resserrée, est une charmante comédie, d’un tour gracieux et fin, pleine de jolis traits, surtout au troisième acte. En insistant, dans mon analyse, sur les parties d’étude de mœurs et de comédie satirique, j’ai laissé de côté toute la partie sentimentale, qui a beaucoup porté sur le public. Les Éclaireuses ont brillamment réussi.

L’interprétation est excellente. Mlle Dorziat a été nerveuse, passionnée, vibrante à souhait dans le rôle de Jeanne. Mlle Lender est la plus belle des candidates à la députation et Mlle Spinelly la plus amusante des romancières gavroches. Mlle Ellen-Andrée dessine avec beaucoup de fantaisie la silhouette du professeur Orpailleur et Mlle Alice Nory celle de la suffragette anglaise. M. Claude Garry est élégant et sympathique en Lehelloy. Et M. Henry-Roussell est non moins sympathique en mari méconnu.