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Méditations de Lamartine, devient de plus en plus entreprenant. Mais le pire danger que coure le féminisme intégral de Jeanne, c’est d’elle-même qu’il vient, de son cœur et, s’il faut le dire, de ses sens. Elle est trop jeune pour avoir renoncé à l’amour. Si elle repousse vertueusement Steinbacher, c’est qu’il lui fait horreur ; mais Lehelloy ne lui fait pas horreur et elle est devenue sa maîtresse. Pourquoi sa maîtresse et non pas sa femme ? Il se trouve que ce Lehelloy est à l’âge où Don Juan converti aspire aux douceurs du foyer. Il a fait cette découverte que si l’amour existe c’est dans le mariage et là seulement. Il le dit, en termes excellens, au cours d’une scène où il adjure Jeanne de renoncer à ce qu’il appelle, d’un mot spirituel et profond, ses idées de 1900. « Je les reconnais ; je les ai eues toutes, entre vingt-cinq et trente ans, comme la plupart de ceux de ma génération. Oui, j’ai été un démolisseur, et, en fait de nuées, je n’en craignais pas une : l’union libre, l’antimilitarisme, l’irresponsabilité des bons criminels, l’abolition de la peine de mort et la réforme de l’orthographe. J’ai fait de tout ça, car tout ça se tient étroitement. J’ai révéla fraternité universelle. Et j’ai réclamé aussi la liberté de l’amour, l’affranchissement de la passion, l’intégralité du bonheur. Mais je me suis aperçu qu’on appartient à un pays, à une société. On vit sous certaines lois. C’est pourquoi j’ai l’honneur, madame, de vous demander votre main. » Jeanne est bien embarrassée : « Oubliez-vous, monsieur, que je suis féministe ?... »

C’est elle qui va l’oublier, aussi complètement que possible, avant qu’il ne soit quinze jours. Elle vient, d’elle-même, relancer Lehelloy dans sa vieille maison familiale et campagnarde, afin qu’il la mène du moins devant M. le maire, puisque M. le curé s’obstine à ne pas bénir le remariage des divorcées. Ainsi elle ne s’est évadée du mariage que pour y rentrer. Ses idées ont changé avec la situation qui les avait fait naître. Auprès d’un mari qu’elle n’aimait pas, elle tenait l’autorité maritale pour le plus scandaleux des abus ; et elle la tiendra pour la plus sacrée des lois auprès d’un mari qu’elle aime ! Son féminisme n’a été qu’une crise de sensibilité. « Les idées, les idées, disait dans son rude langage Paul Dureille, le mari autoritaire : une femme ne devrait jamais employer ce mot-là : les idées. » Ce que M. Donnay transposerait à peu près ainsi : « Les idées, les idées, pourquoi une femme n’emploierait-elle pas ce mot-là ? Mesdames, parlez de vos idées ! Nous y lirons vos sentimens. » Telle est la signification et telle la conclusion ironique de sa pièce.

Voulez-vous maintenant pousser plus loin et, suivant les personnages dans les conditions nouvelles où ils vont se trouver, apercevoir,