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va-t-il donner ? Dans quelle bouche mettra-t-il la théorie antimilitariste ? La plupart du temps nous la trouvons sous la plume de philosophes habitués à raisonner dans l’abstrait et à considérer les choses du point de vue de Sirius. D’autres fois, elle est un article du programme anarchiste. Qu’un ennemi de la société s’attaque à la patrie, cela est dans l’ordre : c’est l’ordre dans le désordre. Qu’un philosophe utopiste réclame la suppression de la guerre, il est dans sa définition et dans son rôle : vous êtes orfèvre, monsieur Josse. Mais que l’antimilitariste soit un militaire, que le pacifiste soit celui-là même qui a pour métier de faire la guerre, la violence du contraste entre la fonction et les sentimens, entre le costume et le langage, donnera une valeur exceptionnelle au boniment humanitaire qui atteindra ainsi son maximum de portée. — L’auteur fera donc de son antipatriote, lui aussi, un officier ; et cet officier sera en activité, et il paraîtra à la scène en uniforme.

On le voit, M. Lavedan a joué la difficulté, comme d’autres l’auraient esquivée. Comment en a-t-il triomphé ? Il ne s’est pas dissimulé ce qu’il pouvait y avoir de pénible pour le spectateur français à entendre sur la scène un officier français, en uniforme, prêcher la désertion. — Et, à ce propos, puisque la question a été bruyamment soulevée, n’ayons pas l’air de l’ignorer et répondons-y en toute simplicité : nous ne croyons pas que la pièce eût été à sa place à la Comédie-Française où tout prend une importance exceptionnelle et un caractère quasiment officiel. Ailleurs l’auteur est libre et fait ce qu’il veut, à ses risques et périls. — Pour que cette exhibition d’un officier antimilitariste fût seulement supportable, il fallait créer une atmosphère spéciale. Une incertitude dans la marche de la pièce, une hésitation sur le dessein de l’auteur eût tout compromis. Or l’idée maîtresse de Servir apparaît avec une telle clarté, la pièce est lancée dans un tel emportement, que les mots les plus dangereux passent, roulés comme autant de scories, dans le flot de l’enthousiasme belliqueux.

Servir n’a que deux actes. Le premier, où l’auteur a placé presque tout l’exposé d’idées, est de beaucoup le meilleur et celui qui donne à la pièce sa valeur littéraire. Nous sommes chez le colonel Eulin. Un intérieur d’une simplicité toute militaire ; quelques meubles réalisant la perfection dans l’inconfort ; au mur, une carte d’Afrique ; des photographies sur un bureau ; un drapeau dans une vitrine ; par la fenêtre, on aperçoit le dôme des Invalides et parfois on entend la musique d’un régiment qui passe. Mme Eulin attend une lettre de son second fils, qui fait campagne au Maroc. Ah ! l’angoisse de la lettre attendue et qui ne