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vient pas ! Et elle relit d’autres lettres, lettres d’officier celles-là aussi, et lettres de fils, tout ce qui lui reste de son fils aîné mort à l’ennemi. Elle a un troisième fils, Pierre, lieutenant d’artillerie. Fille, femme, mère de soldats, elle a donné tous les siens à l’armée, vécu pour elle, souffert par elle. Son mari, le colonel Eulin, brave entre les braves, devant qui s’ouvrait un avenir magnifique, a vu sa carrière brutalement fermée : il a été victime des fiches. Depuis lors, il a des allures étranges, qui déconcertent et désolent sa femme. Il est continuellement hors du logis, prolonge pendant des semaines ses absences mystérieuses et sans motif connu. Ce qui ne chagrine guère moins cette mère douloureuse et passionnée, c’est qu’elle devine, entre le colonel et son fils Pierre, un antagonisme latent. D’instinct, elle fait cause commune avec ce fils, son dernier né, son préféré ; et peut-être le devine-t-elle en secrète sympathie avec elle, tout près de son cœur, de ce cœur meurtri par la guerre que détestent les mères.

Allons droit aux deux scènes capitales pour lesquelles tout l’acte a été fait. L’une, entre la mère et le fils, est destinée à nous faire connaître la situation morale, le drame intérieur où se débat le lieutenant Pierre. Il est entré dans l’armée par force, comme ces prêtres qui entrent dans les ordres sans vocation. Il déteste le sang versé par les hommes. Il sacrifierait sa vie pour abolir la guerre. Son goût était pour la science ; c’est un homme de laboratoire : il a une âme de chimiste. Or, par une espèce de dérision et de cruelle ironie, il a, lui, l’ennemi de la guerre, inventé le plus merveilleux et le plus formidable des engins de guerre. C’est une poudre nouvelle, la poudre verte, qui dépasse en puissance destructrice tout ce qu’on a jusqu’ici imaginé. Les expériences qu’il en a faites sont décisives. Il en a déposé une cartouche dans une île de Bretagne : l’île a disparu. La nation qui posséderait cette poudre aurait avec elle la maîtrise du monde. Il a trouvé cela, lui, le mystique de la paix ! Que fera-t-il donc de son invention ? II s’est juré de l’anéantir.

L’autre scène met aux prises le père et le fils. Le colonel a appris que Pierre aurait déclaré devant ses hommes qu’en cas de guerre chacun doit agir suivant sa conscience, ce qui est l’euphémisme usité pour signifier le refus de marcher. Son fils, son propre fils, a-t-il tenu ce langage impie ? « Si la guerre éclatait, qu’est-ce que tu ferais ? — Mon devoir. — Lequel ? Il n’y en a qu’un : partir. Partirais-tu ?… Ah ! misérable, tu ne réponds pas ! Qu’arriverait-il si toute l’armée en faisait autant ?… Tu es un malfaiteur dangereux. » Et il se jette sur lui, lui arrache ses boutons, le dégrade en lui enlevant ses galons. « Ils