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écrivant, pendant sa douzième année, l’une des œuvres les plus puissantes que nous ait laissées son merveilleux génie !

Pareillement il en est ainsi de l’erreur que vient de reprendre à son compte l’éminent musicographe anglais. Au frontispice d’un gros volume où, comme je le dirai tout à l’heure, il s’est occupé surtout de la Flûte enchantée et des dernières œuvres de Mozart, M. Dent a placé la reproduction d’un portrait du maître qui a été légué autrefois par la veuve de celui-ci au Mozarteum de Salzbourg ; et sous la reproduction il a noté que ce portrait avait été peint par l’acteur Joseph Lange « en l’année 1791, » — qui est l’année même de la mort de Mozart. Évidemment une telle date, qui nous permettrait en effet de nous représenter l’apparence extérieure du maître au moment de la composition de sa Flûte enchantée, aura seule justifié aux yeux de M. Dent l’honneur qu’il a cru devoir accorder à une médiocre peinture d’ « amateur, » fort au-dessous de maints autres portraits également authentiques. Et il est bien vrai que le catalogue du Mozarteum, sur la foi de je ne sais quelle affirmation ancienne, assigne au portrait de Joseph Lange la date susdite : mais c’est chose étonnante que, connaissant aussi parfaitement qu’il le fait la personne et l’œuvre de Mozart durant la dernière année de sa vie, l’écrivain anglais n’ait pas aperçu tout de suite l’impossibilité de prendre au sérieux une affirmation comme celle-là. Car d’abord lui-même nous apprend, avec pleine raison, que Mozart en 1791 se trouvait profondément fatigué et usé ; et le fait est que, selon toute probabilité, c’est de vieillesse qu’est mort cet homme de trente-six ans, — d’une espèce d’épuisement ou de surmenage nerveux assez semblable à celui qui, autrefois, avait causé la mort de notre Blaise Pascal. Le témoignage de tous ceux qui l’ont approché s’accorde, sur ce point, avec le témoignage plus éloquent encore de toute sa production musicale de l’année 1791, absolument différente de son œuvre antérieure, et imprégnée d’un mélange si frappant d’audacieuse maîtrise technique et de sérénité qu’on la dirait jaillie d’un cœur où ne survit plus aucune trace de nos faiblesses humaines. Comment admettre que ce Mozart-là, deux ans après que l’admirable portrait de Tischbein nous l’a montré dans tout le sombre éclat de sa maturité ; comment admettre qu’il ait pu, en 1791, recouvrer la fraîche et légère beauté juvénile qui se révèle à nous dans l’esquisse salzbourgeoise ?

Sans compter qu’à cette première objection, plus ou moins « théorique, » s’en joint une seconde, toute positive, dont on ne comprend pas non plus qu’elle ait échappé à la fine observation critique de