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compte de ce qu’on pourrait appeler le lent classement séculaire des « valeurs » historiques ? C’est ainsi que, des maîtres comme Pergolèse ou comme Weber ayant laissé des œuvres qui n’ont pas eu la fortune de lui plaire, pas un moment il ne s’est demandé si le poids de leur gloire ne leur conférerait pas dorénavant une certaine immunité, ou tout au moins n’aurait pas de quoi lui imposer, vis-à-vis d’eux, une hostilité d’allure plus discrète et moins « cavalière, » — étant donné qu’il ne nous parle d’eux qu’en passant, et sans pouvoir motiver son antipathie à leur égard.

Il y aurait également quelques-uns de ses jugemens sur les opéras de Mozart qui, — tout en s’accompagnant d’une démonstration beaucoup plus abondante, — gagneraient à se rapprocher davantage de l’opinion admise : tandis que, sur un certain nombre d’autres points, au contraire, on ne saurait assez louer l’écrivain anglais d’avoir préféré au témoignage d’une tradition plus ou moins légendaire celui de son propre goût et de sa propre raison. Aussi bien tout son livre nous montre-t-il une connaissance très approfondie de l’œuvre musicale de Mozart lui-même et de tels maîtres italiens ou allemands dont il a subi l’influence. Mais comme le livre entier n’est formé que d’études séparées sur les plus célèbres opéras de Mozart, et comme le plus grand effort du musicographe anglais, — ainsi que je l’ai dit déjà, — s’est évidemment concentré sur la Flûte enchantée, je vais essayer, à mon tour, de le suivre seulement sur ce dernier terrain, — sauf peut-être à profiter, un jour, d’une occasion nouvelle pour m’efforcer de signaler au lecteur français les plus intéressantes des réflexions historiques ou critiques suggérées à M. Dent par les chefs-d’œuvre précédens de l’art dramatique de Mozart, depuis Idoménée jusqu’à Cosi fan tutte[1].


Et tout d’abord, il convient de remercier M. Dent des précieux renseignemens qu’il nous offre sur la figure et la carrière d’un personnage singulier qui, selon toute apparence, a activement collaboré avec le trop fameux Schikaneder à la rédaction du livret de la Flûte enchantée. Un beau jour de l’été de 1818, dans un restaurant viennois, le médiocre musicien Seyfried se trouvait attablé avec un petit groupe d’amis, lorsqu’il a vu venir à lui un « vieux monsieur d’allures distinguées, vêtu d’une redingote bleue, et portant les insignes de différens ordres. » Seyfried, au premier moment, ne l’a point reconnu :

  1. Comment ne rappellerais-je pas, à ce propos, l’étude consacrée ici même, tout récemment encore, par M. Camille Bellaigue à l’inspiration poétique et à la langue musicale de Don Juan ? (Revue du 1er juin 1912).