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mais bientôt le respectable vieillard lui a rappelé qu’il avait eu l’honneur de rapprocher autrefois, en qualité de choriste d’un petit théâtre où le susdit Seyfried tenait alors l’emploi de chef d’orchestre. Depuis lors, ajoutait l’ex-choriste, la chance l’avait étrangement favorisé. Fatigué de sa vie misérable de comparse théâtral, et ressaisi soudain d’une passion enthousiaste pour l’histoire naturelle, il était allé passer sept années et demie au Groenland, y avait étudié assidûment la conformation du sol, et puis, en août 1813, était débarqué à Hull, costumé en Esquimau, avec une touffe de plumes sur son bonnet de fourrure. En Angleterre, ses importantes découvertes scientifiques lui avaient valu l’accueil le plus honorable ; et bientôt l’ancien choriste viennois avait été nommé professeur titulaire de minéralogie à l’université de Dublin. C’est en effet à Dublin qu’il est mort, en 1833, laissant le souvenir d’un savant distingué et d’un excellent homme. Mais le plus curieux est que, pendant son séjour à Vienne en 1813, cet ancien choriste du théâtre de Schikaneder, — qui s’appelait en réalité Metzler, mais n’était connu que sous le pseudonyme de Giesecke, — a révélé à Seyfried, ainsi qu’à d’autres personnes, qu’il avait été naguère le principal auteur du livret de la Flûte enchantée. Révélation qui, d’ailleurs, n’avait rien de surprenant : car on savait que Schikaneder, complètement illettré, et trop occupé de ses affaires à la fois et de ses plaisirs pour avoir le temps d’écrire les paroles d’une pièce, avait dû sûrement confier cette tâche à l’un ou à l’autre des acteurs de sa troupe, sans compter que déjà, la même année 1791, Giesecke avait montré son talent de librettiste en tirant un poème d’opéra-comique de l’Obéron de Wieland.

Resterait à savoir, après cela, jusqu’où est allée cette collaboration, désormais incontestable, du futur professeur de l’université de Dublin. A l’entendre, Schikaneder aurait simplement intercalé dans le livret les deux rôles populaires de Papageno et de Papagena ; mais comme ces deux rôles sont très étroitement liés à l’action de la pièce, je croirais plus volontiers que Schikaneder a inventé tout le dialogue de la Flûte enchantée, en s’inspirant plus ou moins des conseils de son savant choriste, et confié ensuite à celui-ci la tâche de revêtir tout cela d’une forme un peu « littéraire, » surtout pour ce qui était des passages en vers destinés au chant. Il se pourrait aussi, toutefois, que Giesecke, membre zélé de la loge à laquelle appartenaient également Schikaneder et Mozart, ait eu, le premier, l’idée de « corser » l’intérêt de la pièce nouvelle en y introduisant toute sorte d’allusions aux