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fabuleuse où se déroulait l’action inventée par ses librettistes[1]. Les journaux nous ont appris récemment que, pour enlever à la Flûte enchantée son apparence traditionnelle de « révélation » maçonnique, les directeurs de l’Opéra de Berlin avaient résolu de transporter la pièce dans des décors persans. Le procédé n’est peut-être pas d’une efficacité bien sérieuse ; mais l’intention, en tout cas, me plaît infiniment, et je souhaiterais de tout mon cœur que, dans l’Europe entière, les admirateurs de Mozart se décidassent enfin à oublier cette prétendue portée « maçonnique » de la Flûte enchantée qui, depuis trop longtemps, risque de leur faire négliger la véritable portée du plus absolument « musical » des opéras de Mozart.

Car le fait est que celui-ci, au moment où lui est tombée du ciel la commande de son nouvel opéra, n’avait guère le loisir ni l’humeur de s’employer à la glorification de cette franc-maçonnerie dont les allures romanesques et les ambitions humanitaires l’avaient, autrefois, ingénument séduit. Fatigué et malade, accablé d’une déchéance corporelle qui allait bientôt l’obliger à couper de fréquentes étapes son voyage de Prague, il se trouvait, avec cela, dans une détresse financière à peine croyable. Depuis le piteux échec de son Cosi fan tutte surtout, au début de l’année 1790, personne à Vienne ne voulait plus de son art. C’était au point qu’il n’avait presque rien produit durant toute cette année 1790, — trop heureux de pouvoir du moins gagner quelques thalers en s’occupant à réorchestrer des oratorios de Hændel. Non pas qu’il y eût contre lui, comme on l’a dit, une cabale de ses confrères viennois ; ou plutôt, la cabale existait peut-être, mais ne s’était formée. et n’avait réussi que parce que, d’avance, le public était prêt à la bien accueillir. Pour étrange que puisse nous paraître aujourd’hui un tel rapprochement, l’aventure de Mozart en 1791 était toute pareille à celle de Wagner en 1860 : de la meilleure foi du monde, ses contemporains ne parvenaient pas à comprendre l’espèce de « musique de l’avenir » qu’il était en train de créer depuis quelques années ; et les jugemens portés sur elle par les critiques les plus autorisés de l’Allemagne d’alors étaient destinés à se reproduire, presque littéralement, trois quarts de siècle plus tard, s’adressant cette fois aux partitions de Tristan ou des Maîtres Chanteurs.

En 1791, du mois de janvier au mois de mai, quatre commandes

  1. Aussi bien Mozart avait-il déjà autrefois dans ses chœurs du Roi Thamos (1773 et 1779), — à une date où sans doute il ignorait encore jusqu’à l’existence de la Maçonnerie, — créé le véritable « prototype » de son grand style maçonnique de la Flûte enchantée.