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seulement étaient venues à Mozart : d’humbles petites commandes en vérité, et bien peu lucratives. Un capitaliste philanthrope et libre penseur de Francfort lui avait envoyé une dizaine de thalers pour qu’il mit en musique un long poème, — d’une stupidité sans nom, — que ce personnage voulait adjoindre, par manière d’appendice, à un pesant pamphlet anticlérical. Semblablement Mozart avait eu à mettre en musique, moyennant une demi-douzaine de thalers, trois chansons enfantines qu’un journal de modes désirait offrir à ses abonnés. En troisième lieu, un montreur de figures de cire, qui avait installé dans son « musée » un orgue mécanique, avait demandé à Mozart deux (ou peut-être trois) courts morceaux qui pussent faire partie du futur répertoire de cet instrument. Et enfin, l’auteur de Don Juan avait eu la chance, cette année-là, de « décrocher » la commande d’un assez bon nombre de menuets, contredanses, etc., pour les bals populaires du Carnaval. Ces danses, dont on entend bien que les mieux payées n’avaient encore dû lui rapporter que des sommes dérisoires, remplissaient la plus grosse partie du chapitre consacré à l’année 1791, dans le catalogue où il avait coutume d’inscrire, au fur et à mesure, chacune de ses œuvres.

Il en était là lorsque, vers le mois de mai 1791, un certain Schikaneder qu’il avait connu autrefois à Salzbourg, et qui était maintenant directeur d’une sorte de petit théâtre de foire dans la banlieue de Vienne, lui a proposé d’écrire pour lui, très rapidement, la musique d’un opéra-comique nouveau, mélangé de féerie et de « pitreries, » suivant un genre qui avait commencé depuis peu à être passionnément aimé du public viennois. C’est dans ces conditions que Mozart a produit sa Flûte enchantée ; et comme il fallait que l’affaire fût vite expédiée, et que le compositeur ne pouvait naturellement en attendre qu’un maigre bénéfice, et comme, de plus, il se sentait à bout de ses forces, il ne crut pas devoir apporter à son travail le même soin que lui avaient naguère coûté ses opéras précédens. Innombrables sont les emprunts qu’H a faits, dans sa partition, à l’œuvre d’autres compositeurs, anciens et modernes. Sans parler de vieux maîtres oubliés, tels qu’un Hændel ou un Smith, un Emmanuel Bach ou un Schobert, dont on retrouve maintes phrases introduites, çà et là, dans la trame musicale de cette partition, il suffirait au lecteur de feuilleter, — je choisis cet exemple au hasard, — la célèbre Symphonie de la Reine de Joseph Haydn pour y découvrir l’origine de l’un des passages les plus saillans de la prière de Sarastro, et puis encore la figure d’accompagnement autour de laquelle s’enroule tout l’adorable trio des Trois