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électrique et automobile a augmenté la consommation dans des proportions formidables n’était plus fourni en quantités suffisantes par les plantations. La fabrication industrielle, qu’on peut considérer depuis quelques semaines comme assurée, répondra donc à une nécessité vraiment urgente.

Cet apport nouveau et magistral de la chimie organique à l’industrie ne doit pas nous faire oublier tous ceux dont l’humanité lui fut déjà redevable dans ces dernières décades : faut-il rappeler entre mille la synthèse des matières colorantes au moyen des résidus inutilisables de la distillation du coke des usines à gaz ; celle de l’indigo qu’une série de réactions savantes et compliquées extrait de la naphtaline et qui supplante partout l’indigo naturel ; celle du camphre que les transformations magiques imposées par nous à l’essence de térébenthine nous laissent tirer de notre pin maritime au lieu du lointain camphrier de Formose ; celle de la vanilline ; celle de tous les parfums floraux, que nous ne prenons pas la peine d’aller chercher dans les jardins, car nos laboratoires les font jaillir des matières les plus viles ; celle du glucose ; celle des alcaloïdes si utiles pour soulager la souffrance et guérir ?


Le tableau de ce qu’a fait la chimie, la perspective de ce qu’elle peut faire encore, est bien fait pour plaire à ceux qui ont le noble orgueil de la science. En réalisant dans ses fourneaux aux formes apocalyptiques les corps qu’il fallait demander jadis à la plante ou à l’animal, le chimiste a le droit, vraiment, de penser qu’il remplace la nature, qu’il la domine même... de cette domination qui n’est qu’une obéissance intelligente à ses lois.

Mais son triomphe est assurément le plus beau, lorsque du ventre gonflé de ses cornues, lourdes de tous ses espoirs et de tous ses labeurs, il peut faire jaillir quelque substance nouvelle, que la nature elle-même n’avait point réalisée dans le monde, et qui apporte aux hommes quelque chose de nouveau et d’utile.

Il y a une sorte de poésie grandiose et mystique dans le laboratoire du chimiste, où l’on torture et domestique les énergies mystérieuses de l’atome, naguère indomptées, aujourd’hui obéissantes et dociles aux désirs humains. Et on comprend qu’un rêveur et un passionné comme Swedenborg se soit, jadis, donné corps et âme à cet art.


CHARLES NORDMANN.