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veut, comme nous l’espérons bien, obtenir des Chambres le rétablissement du service de trois ans. Il s’agit de remonter un courant très fort, très impétueux, très puissant et de ramener en quelques jours l’opinion publique à une vérité qu’on lui a longtemps cachée.

Ce serait, en effet, toute une histoire à écrire que celle des procédés par lesquels on a peu à peu égaré l’opinion sur cette question, la plus grave qu’on puisse poser devant un pays, puisque son existence même en dépend. La loi de 1872, œuvre de M. Thiers, est peut-être la meilleure que nous ayons jamais eue. Faite immédiatement après la guerre, elle s’inspirait des terribles leçons que nous venions de recevoir : l’intérêt militaire y avait été garanti sans toutefois que les autres intérêts du pays, et notamment ceux qui se rattachent à sa culture intellectuelle, y eussent été sacrifiés. Mais, à peine la loi a-t-elle été faite qu’elle a été combattue et l’illustre homme d’État qui en avait été l’auteur a pu voir, avant de mourir, les assauts dirigés contre elle : il a usé ses dernières forces à les repousser. Elle lui a survécu pourtant : c’est seulement en 1889 qu’a été voté le service de trois ans. La nouvelle loi était inférieure à la précédente, mais on pouvait encore en tirer bon parti : malheureusement, le principe des dispenses, qui y avait été introduit, a donné lieu à un si grand nombre d’abus, qu’elle n’a pas tardé à en être profondément discréditée. Lorsque Gambetta, non sans de longues hésitations, non sans une grande perplexité d’esprit, a accepté le service de trois ans, il y avait mis pour condition expresse qu’il n’y aurait aucune dispense : il ne cessait de le répéter dans la Commission de l’armée qu’il présidait et où, à son tour, il a usé ses dernières forces. La loi a été votée après sa mort, on s’est même appuyé sur son autorité pour la recommander aux Chambres et on y a introduit des dispenses dont le nombre a été sans cesse en grandissant. La loi a péri par là et le service de trois ans a été remplacé par le service de deux. La loi qui l’a établi n’a pas été présentée par le gouvernement ; elle l’a été par un sénateur obscur ; mais le gouvernement l’a acceptée, appuyée, patronnée, garantie ; aussi longtemps que le gouvernement s’opposait, d’abord au service de trois, puis à celui de deux ans, les députés pouvaient résister à la terrible poussée de leurs électeurs qui le désiraient, le demandaient, l’exigeaient ; mais que pouvaient-ils faire lorsque le gouvernement lui-même venait déclarer que le service de trois ans, puis de deux, était possible et qu’il en conseillait le vote ?

On avait vu tous les quatre ans, à chaque élection générale, la question posée autour du scrutin ; chaque fois la même surenchère se