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réduites et fatiguées et les Turcs étant presque invincibles derrière des fortifications.

Malheureusement, si la guerre n’avance pas, les négociations ne progressent pas davantage. Lorsque, il y a quelques jours, le gouvernement ottoman a demandé la médiation des puissances, on a cru qu’à bout de forces, il était résigné aux conditions nécessaires, dont la première est l’abandon d’Andrinople. On n’en est plus aussi assuré maintenant. Les puissances alliées n'ont pas encore répondu à la proposition de médiation et, de part et d’autre, les exigences restent entières. Une question nouvelle est venue compliquer les choses, celle d’une indemnité de guerre que réclament les alliés, et à laquelle les Turcs déclarent avec énergie qu’ils ne consentiront jamais. Qu’arrivera-t-il ? Les Japonais eux aussi, après leur guerre victorieuse contre la Russie, réclamaient une indemnité et, devant la résistance irréductible de M. Witte, ils ont fini par y renoncer. En sera-t-il de même des alliés balkaniques ? La Turquie leur abandonne d’immenses territoires et des villes importantes qu’ils n’ont pas encore prises : n’est-ce pas assez, et faudra-t-il encore qu’elle leur paie une indemnité en argent ? Les puissances créancières de la Porte, — nous sommes au premier rang et l’Allemagne est au second, — ont des réserves à faire, des mesures à prendre, des intérêts à garantir. Cette question qui n’est pas absolument imprévue, car on en avait déjà parlé, mais qui se présente aujourd’hui d’une façon plus précise et plus pressante, sera d’une solution délicate. Il serait pourtant regrettable que la médiation de l’Europe restât infructueuse. Nous ne blâmons pas la bonne volonté des puissances ; on leur a demandé leur médiation; elles l’accordent à ceux qui la sollicitent et la proposent aux autres, mais un peu machinalement, semble-t-il, et poussées par le seul amour de la paix. L’amour de la paix est le meilleur des sentimens : il est toutefois de la dignité de l’Europe de ne pas y céder aveuglément et sans avoir pris ses précautions. L’exemple du passé, et d’un passé tout récent, lui enseigne que, lorsque le médiateur s’interdit d’exercer la moindre pression sur ses cliens, il s’expose à tomber dans l’impuissance, ce qui est fâcheux quand cela arrive une première fois, un peu ridicule quand cela se reproduit une seconde. Une médiation, pour aboutir, ne saurait se passer de quelque autorité chez celui qui l’exerce. Ce n’est pas, en réalité, une médiation que l’Europe exerce, mais des bons offices qu’elle introduit timidement entre les belligérans, et ceux-ci les acceptent à condition qu’on leur donne raison. Ainsi conduites, les choses peuvent durer quelque temps encore; une guerre lente et