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contenue dans la célèbre lettre écrite en 1790 par la Duchesse d’Orléans à son mari : « Les torts que je reproche à Mme de Genlis existent et ne peuvent être détruits ni par son journal ni par tout ce qu’elle pourra vous dire ; c’est moi qui ai vu et entendu tout ce qui m’a déplu, » est désormais justifiée : Mme de Genlis fut la maîtresse du Duc d’Orléans. Cette certitude achèvera d’éclairer le point qui est l’objet de cette étude, de même que les lettres de la Duchesse donneront leur véritable aspect aux acteurs du drame intime qui commença de bouleverser la famille d’Orléans avant que ne le dénouât, d’une façon sanglante, le drame national.

Pour le Duc d’Orléans et Mme de Genlis, elles apportent surtout la confirmation de choses pressenties ; il en est autrement quant à la Duchesse : ses lettres la révèlent.

Au moment où la fille du Duc de Penthièvre fut unie à Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, Duc de Chartres, l’épousée de seize ans n’attira guère que l’attention imposée par son rang, son immense fortune, de charmantes promesses de beauté. Ce fut un mariage d’amour, tout au moins pour Marie-Adélaïde, qui déploya, afin de vaincre la résistance de son père, une obstination et une fermeté singulières chez une si jeune fille, soumise par caractère et par éducation.

Si, sous le rapport des avantages extérieurs, cette union ré- pondait à celles qu’on qualifie de « bien assorties, « jamais, peut- être, contraste moral n’apparut plus complet. A quel mystère psychologique attribuer l’irrésistible inclination de la pieuse fille du Duc de Penthièvre pour un prince, non pas seulement sceptique, mais tirant vanité de principes étrangers à ceux qu’elle avait reçus, et d’une existence un peu plus que frivole ? Avait-elle, dans une naïve ardeur de prosélytisme, conçu l’espoir que sa tendresse redresserait l’œuvre d’une éducation viciée ? Cette tâche ne manquait pas d’attraits, d’autant mieux qu’elle se présentait aux yeux de la mystique enfant sous les espèces d’un homme jeune, aimable, séduisant, du plus beau cavalier du royaume, disait-on.

L’étrange frisson, le délire des idées qui agitaient alors la société et commençaient d’en ébranler les institutions, les mœurs, s’étaient arrêtés au seuil de la demeure du vieux Duc, Louise-Adélaïde avait grandi enveloppée dans les voiles de la tradition. On avait apporté peu de soin à étendre son savoir,