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se trouvera bientôt assez abondante pour qu’elle puisse faire ostensiblement état d’une science imposante en surface, mince en profondeur. Cette culture, mise au service de sa passion de dominer, fera naître la pédagogue. C’est surtout à ce titre que Mme de Genlis retiendra ici notre attention, car c’est à lui que la Duchesse d’Orléans doit tout son malheur, et que nous devons, nous, les lettres qui nous le dévoilent.

Quand, à force d’habileté et d’intrigues, Mme de Genlis pourra appliquer aux enfans de Philippe d’Orléans son système d’éducation, elle y accommodera Rousseau à ses idées personnelles, quelquefois justes, souvent ingénieuses, toujours intransigeantes.

Ce plan, elle le suivra avec une méthode, un esprit de suite qui ne laissent pas d’étonner chez une femme que sollicitaient encore d’autres soins moins sévères. S’instruire sans cesse sur toutes choses, cultiver ses talens, écrire, causer, élever des princes, intriguer, politiquer ; on demeure confondu d’un tel labeur. Nous savons, en outre, qu’elle y ajouta le temps d’aimer, car on ne peut méconnaître qu’il passe, au moins dans ses premières lettres à son amant, un souffle de sensibilité, puis le temps de s’aimer, le culte du moi ayant rarement été poussé à des limites aussi extrêmes.

Telle est la femme qui enleva à la jeune Duchesse d’Orléans, au lendemain même de son mariage, son époux, puis le cœur de ses enfans.

A l’heure où il se place, le conflit prend des proportions singulières. En le dégageant des circonstances pathétiques qui l’entourent, n’y peut-on voir l’image de la lutte suprême engagée par l’éducation telle qu’elle était entendue sous l’Ancien Régime avec celle que réclamaient des temps nouveaux ? Dans ce moment et sous cet aspect, Mme de Genlis apparaît comme la femme de demain ; la Duchesse d’Orléans comme la femme des temps accomplis.

Par quels moyens, servis par quels événemens, Mme de Genlis s’empara-t-elle sans restriction du droit que réclame uniquement, inlassablement la Duchesse : celui d’élever ses enfans ? Car une particularité ne manque pas de frapper dans ces lettres où se montre sous son vrai jour la rivalité des deux femmes : l’homme en disparait complètement, les enfans seuls deviennent l’enjeu. L’épouse trahie, délaissée, ne laisse entendre ni plaintes, ni récriminations ; elle fait plus : elle admet, elle consent... ;