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ou ancien, dont les livres étaient devenus introuvables. Ils les faisaient rechercher, recopier soigneusement. Eux « qui avaient horreur de l’étude à l’égal du poison, » ils ne parlaient que de leur écrivain favori : les autres n’existaient pas pour eux. En réalité, la musique avait supplanté la littérature : « les bibliothèques étaient closes comme des sépulcres. » Mais on s’éprenait d’un orgue hydraulique, on commandait aux luthiers « des lyres grandes comme des chars. » Pure grimace, au fond, que cette manie musicante. En réalité, on ne s’intéressait qu’aux sports : courir, faire courir, élever des chevaux, entraîner des athlètes ou des gladiateurs. Par passe-temps, on collectionnait des étoffes orientales. La soie était alors à la mode, comme les pierres précieuses, les émaux, les lourdes orfèvreries. On avait des enfilades d’anneaux à tous les doigts. On se promenait en robes de soie, brochées de figures d’animaux, un parasol dans une main, un éventail à franges d’or dans l’autre. Les costumes et les modes de Constantinople envahissaient la vieille Rome et le reste du monde occidental.

D’immenses fortunes, réunies sur quelques têtes, à la suite d’héritages ou de concussions, permettaient de soutenir un luxe insensé. Comme les milliardaires américains d’aujourd’hui, qui possèdent des villas et des propriétés dans les deux hémisphères, ces grands seigneurs romains en possédaient dans tous les pays de l’Empire. Symmaque, qui était préfet de la Ville pendant le séjour d’Augustin, avait des domaines considérables non seulement en Italie et en Sicile, mais jusqu’en Maurétanie. Et pourtant, malgré toute leur fortune et tous les privilèges dont ils jouissaient, ces gens riches n’étaient ni heureux ni tranquilles. Au moindre soupçon d’un pouvoir despotique, leurs vies et leurs biens étaient menacés. Accusations de magie, de lèse-majesté, de complots contre l’Empereur, tous les prétextes étaient bons pour les dépouiller. Au cours du précédent règne, celui de l’impitoyable Valentinien, la noblesse romaine avait été littéralement décimée par le bourreau. Un vice-préfet. Maximinus, s’était acquis une sinistre réputation d’habileté dans l’art d’inventer des suspects : sous une des fenêtres du prétoire, il avait fait suspendre, au bout d’une ficelle, une corbeille destinée à recueillir les dénonciations. La corbeille fonctionnait nuit et jour.

Évidemment, lorsque Augustin s’établit à Rome, cet abominable