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de guerre, des soldats sarmates, condamnés à s’entretuer dans l’amphithéâtre, préférèrent le suicide à cette mort ignominieuse. Il y avait là de quoi le faire réfléchir, lui et ses amis. Les iniquités foncières sur lesquelles reposait le monde antique, — l’écrasement de l’esclave et du vaincu, le mépris de la vie humaine, — ils les touchaient du doigt, lorsqu’ils assistaient aux tueries de l’amphithéâtre. Tout ceux dont le cœur se soulevait de dégoût et d’horreur devant ces scènes d’abattoir, tous ceux qui aspiraient à un peu plus de douceur, à un peu plus de justice, tous ceux-là étaient des recrues désignées pour l’armée pacifique du Christ.

Pour Alypius, en particulier, il ne fut pas mauvais d’avoir connu par expérience cette ivresse du sang : il n’en aura que plus de honte de lui-même, quand il tombera aux pieds du Dieu de miséricorde. Et il ne lui servit pas moins d’avoir éprouvé à ses dépens la rigueur de la justice des hommes, d’en avoir constaté les vices et les lacunes, dans l’exercice de ses fonctions de juge. Étudiant à Carthage, il faillit être condamné à mort, sur une fausse accusation de vol, — le vol d’un morceau de plomb ! Déjà, on le conduisait sinon au supplice, du moins à la prison, lorsque l’intervention d’un sénateur de ses amis l’arracha à la foule menaçante. A Rome, assesseur du Comte des Largesses, il dut résister à une tentative de corruption, en y risquant sa place et sans doute quelque chose de pis. La vénalité et la malhonnêteté administratives étaient des maux si communs, si profondément enracinés, que lui-même fut sur le point d’en subir la contagion. Désirant se faire copier des manuscrits, il eut la tentation de mettre la dépense au compte du Trésor. Cette indélicatesse avait, à ses yeux, une excuse assez relevée, et il était sur de l’impunité. Néanmoins, il se ressaisit après réflexion, et, vertueusement, il renonça à s’offrir une bibliothèque aux frais de l’Etat.

Augustin, qui nous raconte ces anecdotes, en tire la même moralité que nous : c’est que, pour un homme qui allait être évêque, et, comme tel, administrateur et juge, ce stage dans l’administration publique fut une bonne école préparatoire. La plupart des grands chefs de cette génération chrétienne étaient, eux aussi, d’anciens fonctionnaires : avant de recevoir l’ordination, ils avaient été mêlés aux affaires ou à la politique, avaient largement vécu de la vie du siècle : tel est le cas de saint