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Ambroise, de saint Paulin de Nole, d’Augustin lui-même et de ses amis, Évode et Alypius.

Cependant, si absorbés par leurs fonctions que fussent nos deux Africains, il est à peu près certain que les préoccupations d’ordre intellectuel primaient, pour eux, toutes les autres. Pour Augustin, du moins, cela est sûr. Il dut étonner le bon Alypius, lorsqu’en arrivant à Rome, il lui avoua qu’il ne tenait presque plus au manichéisme. Et il lui exposa ses doutes sur la physique et la cosmogonie de leurs maîtres, ses soupçons sur l’immoralité cachée de la secte. Quant à lui, les controverses, qui étaient le fort des manichéens, ne l’éblouissaient plus. Déjà, à Carthage, il avait entendu un catholique, un certain Helpidius, leur opposer des textes de l’Écriture, qu’ils n’avaient pu réfuter. Enfin, l’évêque manichéen de Rome lui fit, dès le début, une mauvaise impression : c’était, nous dit-il, un homme d’extérieur rustique, sans culture, ni politesse dans les manières : sans doute, ce paysan malappris n’avait point accueilli le jeune professeur selon ses mérites. Celui-ci en fut froissé.

Alors, sa dialectique aiguisée et son esprit satirique (Augustin resta, jusqu’à la fin de sa vie, un moqueur redoutable) s’exercèrent sur le dos de ses coreligionnaires. Provisoirement, il avait admis comme indiscutables les principes fondamentaux du manichéisme : d’abord, l’hostilité primordiale des deux substances, le Dieu de la Lumière et le Dieu des Ténèbres ; ensuite, cet autre dogme que des parcelles du premier, après une victoire momentanée du second, étaient captives dans certaines plantes et dans certaines liqueurs. D’où la distinction des alimens purs et des alimens impurs. Etaient purs tous ceux qui renfermaient une part de la Lumière divine, impurs tous ceux qui en étaient privés. La pureté des mets se trahissait par certaines qualités de saveur, d’odeur et d’éclat. Mais, aujourd’hui, Augustin trouvait bien de l’arbitraire dans ces distinctions et bien de la naïveté dans cette croyance que la Lumière divine pouvait habiter un légume. « N’ont-ils pas honte, disait-il, de chercher Dieu avec leur palais ou avec leur nez ? Et si sa présence se décèle par une luminosité particulière, la bonté de la saveur ou de l’odeur, pourquoi admettre tel mets et condamner tel autre, qui est tout aussi lumineux, savoureux et parfumé ?...

« Oui, pourquoi regardent-ils le melon doré comme sorti des