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« saint évêque de Milan » avec des sentimens de vénération et d’admiration sincères, il laisse deviner que celui-ci trompa son attente. Si l’évêque manichéen de Rome l’avait rebuté par ses façons rustiques, Ambroise le déconcerta à la fois par sa politesse, sa bienveillance, et par la réserve, peut-être involontairement hautaine, de son accueil. « Il me reçut, dit Augustin, paternellement, et, comme évêque, il se réjouit assez de mon arrivée : peregrinationem meam satis episcopaliter dilexit ! Ce « satis episcopaliter » a tout l’air d’une petite malice à l’adresse du Saint. Il est infiniment probable que saint Ambroise accueillit Augustin non pas précisément comme le premier venu, mais comme une brebis de son troupeau et non comme un orateur de talent, et qu’enfin il lui témoigna la même bienveillance « épiscopale » qu’il accordait, par devoir, à toutes ses ouailles. Il est bien possible aussi qu’Ambroise se soit défié, au début, de cet Africain, nommé professeur municipal sur la recommandation du païen Symmaque, son adversaire personnel. Pour les catholiques italiens, il ne venait rien de bon de Carthage : ces Carthaginois étaient, en général, des manichéens ou des donatistes, sectaires d’autant plus dangereux qu’ils se prétendaient orthodoxes et que, mêlés aux fidèles, ils les contaminaient hypocritement. Enfin, le grand seigneur qu’était Ambroise, l’ancien gouverneur de Ligurie, le conseiller des Empereurs, dut laisser percer une certaine commisération ironique pour ce « marchand de paroles, » ce jeune rhéteur encore tout gonflé de ses prétentions.

Quoi qu’il en soit, c’est une leçon d’humilité que saint Ambroise donna, sans le vouloir, à Augustin. La leçon ne fut pas comprise. Le professeur de rhétorique ne retint qu’une chose de cette visite, c’est que l’évêque de Milan l’avait bien reçu. Et, comme la vanité humaine attribue tout de suite une importance extrême aux moindres avances des gens illustres ou puissans, Augustin en éprouva de la reconnaissance : il se mit à aimer Ambroise presque autant qu’il l’admirait, et il l’admirait pour des raisons toutes profanes : « Il me paraissait, dit-il, un homme heureux selon le monde, honoré par ce qu’il y avait de plus élevé sur la terre. » La restriction, qui suit aussitôt, exprime assez naïvement les dispositions où se trouvait alors le sensuel Augustin : « Seul, le célibat d’Ambroise me paraissait, pour lui, un lourd fardeau. »