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Et d’abord, il était temps de jeter la défroque du manichéisme. Un manichéen aurait fait scandale dans une ville où la majorité de la population était chrétienne, où la Cour était catholique, quoiqu’elle ne cachât point ses sympathies pour l’arianisme. Depuis longtemps, Augustin n’était plus manichéen de conviction. Il n’avait donc pas à feindre, pour rentrer dans une Église qui le comptait encore officiellement parmi ses catéchumènes. Sans doute, il était un catéchumène bien tiède, puisqu’il inclinait, par intermittence, au scepticisme. Mais il jugeait convenable de rester, au moins provisoirement, dans la communion catholique, où sa mère l’avait élevé, jusqu’au jour où quelque certitude éclatante dissiperait ses doutes. Or, saint Ambroise était alors l’évêque catholique de Milan. Augustin se préoccupait fort de se concilier ses bonnes grâces. Ambroise était une véritable puissance politique, un personnage considérable, un orateur célèbre dont la renommée rayonnait à travers tout le monde romain. Il appartenait à une famille illustre. Son père avait été préfet du prétoire des Gaules. Lui-même, avec le titre de consulaire, gouvernait les provinces d’Emilie et de Ligurie, lorsque le peuple de Milan le proclama évêque malgré lui. Baptisé, ordonné prêtre et consacré coup sur coup, il ne résigna ses fonctions civiles qu’en apparence : du haut de sa chaire épiscopale, il représentait toujours la plus haute autorité du pays.

Dès son arrivée à Milan, Augustin s’empressa d’aller visiter son évêque. Tel que nous le connaissons, il dut se rendre auprès d’Ambroise avec un grand élan de cœur. Son imagination aussi s’était échauffée. Dans sa pensée, c’était un lettré, un orateur, un écrivain fameux, presque un confrère qu’il allait voir. Le jeune professeur admirait, dans l’évêque Ambroise, toute la gloire qu’il ambitionnait et tout ce qu’il croyait être déjà lui-même. Il s’imaginait que, tout de suite, et, quelle que fût l’inégalité de leurs conditions, il se trouverait de plain-pied avec ce grand personnage et qu’il causerait familièrement avec lui, comme il faisait à Carthage, avec le proconsul Vindicianus. Il se disait encore qu’Ambroise était prêtre, c’est-à-dire médecin des âmes : il comptait lui confier ses misères spirituelles, les angoisses de son esprit et de son cœur. Il attendait de lui un réconfort, sinon la guérison.

Or, il fut déçu. Bien que, dans tous ses écrits, il parle du