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vivifier. Mais à quoi bon tant spéculer sur la Vérité et sur le Souverain Bien ! Commençons d’abord par vivre !

Maintenant que son avenir est assuré, Augustin s’inquiète d’arranger sa vie au mieux de sa tranquillité. Il n’a plus de très grandes ambitions. L’essentiel, pour lui, c’est de se ménager une petite existence paisible et agréable, on dirait presque bourgeoise. Quoique modeste, sa fortune présente lui suffit déjà : il se hâte d’en jouir.

C’est ainsi qu’à peine installé à Milan, il fit venir d’Afrique sa maîtresse et son fils. Il avait loué un appartement dans une maison attenant à un jardin. Le propriétaire, qui n’y habitait point, lui laissait la jouissance de tout le logis. Une maison, le rêve du Sage ! Et un jardin au pays de Virgile ! Le professeur Augustin dut être bien heureux ! Sa mère ne tarda pas à le rejoindre. Puis, peu à peu, toute une tribu africaine l’envahit, s’imposa à son hospitalité : Navigius, son frère, ses deux cousins, Rusticus et Lastidianus, son ami Alypius, qui ne pouvait se résoudre à le quitter, et probablement aussi Nebride, un autre de ses amis de Carthage. Rien de plus conforme aux mœurs de l’époque. Le rhéteur de la ville de Milan avait une situation qui pouvait passer pour brillante aux yeux de ses parens pauvres, il était en relations avec des personnages considérables, tout près de la Cour impériale, source des faveurs et des largesses : aussitôt la famille accourut pour se mettre dans sa clientèle et sous sa protection, bénéficier de sa fortune nouvelle et de son crédit. Et puis, ces exodes d’Africains et d’Orientaux dans les pays du Nord se produisent toujours de la même façon. Il suffit que l’un d’eux y réussisse : il fait immédiatement la tache d’huile.

La personne la plus importante de ce petit phalanstère africain était, sans contredit, Monique, qui avait pris la direction morale et matérielle de la maison. Elle n’était pas très âgée, — à peine cinquante-quatre ans, — mais elle tenait extrêmement à son pays. Pour qu’elle l’eût quitté, qu’elle eût affronté les fatigues d’un long voyage par mer et par terre, il fallait qu’elle eût de bien graves raisons. La pauvreté, où elle était tombée depuis la mort de son mari, n’expliquerait pas suffisamment qu’elle se fût expatriée. Elle possédait encore un peu de bien à Thagaste : elle y pouvait vivre. Les vrais motifs de son départ sont d’un tout autre ordre. D’abord, elle aimait passionnément