Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son fils, au point de ne pouvoir se passer de sa présence. Rappelons-nous le mot si touchant d’Augustin : « Beaucoup plus qu’aucune autre mère, elle aimait à m’avoir auprès d’elle. » Ensuite, elle voulait le sauver. Elle croyait fermement que telle était sa tâche en ce monde.

Dès cette époque, elle n’est plus la veuve de Patritius, elle est déjà sainte Monique. Vivant comme une nonne, elle jeûnait, priait, se mortifiait. À force de méditer les Écritures, elle avait développé, en elle, le sens des réalités spirituelles, au point que, bientôt, elle étonnera Augustin lui-même. Elle avait des visions, peut-être des extases. Pendant la traversée de Carthage à Ostie, le bateau qui la portait fut assailli par une tempête. Le danger devenait angoissant, et les hommes d’équipage ne cachaient pas leur inquiétude. Mais Monique, intrépidement, les réconfortait : « on arriverait au port, sains et saufs ! Dieu, affirmait-elle, lui en avait donné l’assurance ! »

Si, dans sa vie de chrétienne, elle connut d’autres minutes plus divines, celle-là fut vraiment la plus héroïque. À travers le sobre récit d’Augustin, on entrevoit la scène : cette femme couchée sur le pont, parmi les passagers à demi morts de fatigue et d’épouvante, et qui, tout à coup, rejette ses voiles, se dresse, devant la mer en démence, et, avec une flamme soudaine sur sa pâle figure, dit aux matelots : « Que craignez-vous ? Nous arriverons ! J’en suis sûre ! » Le bel acte de foi !

À cet instant solennel, où elle vit la mort de si près, elle eut la claire révélation de sa destinée : elle sut, avec la plus entière évidence, qu’elle était chargée d’un message pour son fils et que, ce message, son fils le recevrait, malgré tout, malgré la fureur des vagues, malgré son cœur lui-même.

Quand cet émoi sublime se fut apaisé, il lui en resta la certitude que, tôt ou tard, Augustin allait changer ses voies. Il s’était égaré, il se méconnaissait. Ce métier de rhéteur était indigne de lui. Le Maître du champ l’avait choisi pour être un des grands ouvriers de sa moisson. Depuis longtemps, Monique pressentait le rôle exceptionnel qu’Augustin devait jouer dans l’Église. Pourquoi gaspiller son talent et son intelligence à vendre de vaines paroles, quand il y avait des hérésies à combattre, la Vérité à mettre en lumière, quand les donatistes enlevaient aux catholiques les basiliques africaines ? Qu’était-ce enfin que le rhéteur le plus illustre devant un évêque, protecteur