Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la ville. Il était lié notamment avec ce Manlius Théodore, que célébra le poète Claudien, et à qui lui-même dédiera prochainement un de ses livres. Ancien proconsul à Carthage, où sans doute il avait rencontré Augustin, cet homme riche vivait alors retiré à la campagne, partageant ses loisirs entre l’étude des philosophes grecs, des platoniciens surtout, — et la culture de ses vignes et de ses oliviers.

Ici, comme à Thagaste, dans ces belles villas assises aux bords des lacs italiens, le fils de Monique s’abandonnait encore une fois à la douceur de vivre : « J’aimais la vie heureuse, » avoue-t-il en toute simplicité. Plus que jamais, il se sentait épicurien. Il l’aurait été sans réserves, s’il n’eût gardé l’appréhension de l’au-delà. Mais, quand il était le convive de Manlius Théodore, en face des montagnes riantes du lac de Côme, qui s’encadraient dans les hautes fenêtres du triclinium, il ne songeait guère à l’au-delà. Il se disait : « Pourquoi souhaiter l’impossible ? Il faut si peu de chose pour remplir une âme humaine ! » La contagion énervante du luxe et du bien-être le corrompait doucement. Il devenait comme ces gens du monde qu’il savait si bien charmer par sa parole. Comme les gens du monde de tous les temps, ces victimes prochaines des Barbares se faisaient un rempart de leurs petites félicités quotidiennes contre toutes les réalités offensantes ou attristantes, laissaient sans réponse les questions essentielles, ne se les posaient même plus, et ils disaient : « J’ai de beaux livres, une maison bien chauffée, des esclaves bien stylés, une salle de bain joliment décorée, une voiture agréable : la vie est douce. Je n’en souhaite pas une autre. A quoi bon ? Celle-ci me suffit. » Dans ces momens où sa pensée lasse renonçait, Augustin, pris au piège des jouissances faciles, désirait ressembler tout à fait à ces gens-là, être l’un d’eux. Mais, pour être l’un d’eux, il lui fallait un emploi plus relevé que celui de rhéteur, et, d’abord, mettre dans sa conduite tout le décorum, toute la régularité extérieure que le monde exige. C’est ainsi que, peu à peu, l’idée lui vint sérieusement de se marier.

Sa maîtresse était le seul obstacle à ce projet : il s’en débarrassa.

Ce fut tout un drame domestique, qu’il s’est efforcé de cacher, mais qui dut lui être extrêmement pénible, à en juger par les plaintes qui lui échappent malgré lui, à travers quelques