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aux visites amicales et aux démarches auprès des gens en place, qu’il sollicitait pour lui-même ou pour ses proches. Le soir, il préparait sa leçon du lendemain. Malgré cette vie agitée et si pleine, qui paraissait combler toutes ses ambitions, il ne parvenait pas à étouffer le cri de son cœur en détresse. Au fond, il ne se sentait pas heureux. D’abord, il est douteux que Milan lui ait plu davantage que Rome. Il y souffrait du froid. Les hivers milanais sont extrêmement rigoureux, surtout pour un Méridional. Des brouillards épais montent des canaux et des prairies marécageuses, qui entourent la ville. Les neiges des Alpes sont toutes proches. Ce climat, encore plus humide et plus glacial que celui de Rome, ne valait rien pour sa poitrine. A tout instant, sa gorge était prise : il était obligé d’interrompre ses déclamations, nécessité désastreuse pour un homme dont c’est le métier de parler. Ces indispositions se renouvelaient si fréquemment, qu’il en venait à se demander s’il pourrait continuer longtemps ainsi. Il se voyait déjà contraint de renoncer à sa profession. Alors, dans ses heures de découragement, il faisait table rase de toutes ses ambitions de jeunesse : en désespoir de cause, le rhéteur aphone entrerait dans une administration de l’Empire. L’idée d’être un jour gouverneur de province n’excitait pas en lui de trop vives répugnances. Quelle chute pour lui ! — Oui, mais c’est la sagesse ! ripostait la voix mauvaise conseillère, celle qu’on est tenté d’écouter, quand on doute de soi.

L’amitié, comme toujours, consolait Augustin de ces pensées désolantes. Il avait auprès de lui le « frère de son cœur, » le fidèle Alypius, et aussi Nébride, ce jeune homme si passionné pour les discussions métaphysiques. Nébride avait quitté ses riches domaines de la banlieue carthaginoise et une mère qui l’aimait, uniquement pour vivre avec Augustin, à la recherche de la vérité. Romanianus aussi était là, mais pour un motif moins désintéressé. Le mécène de Thagaste, après ses prodigalités ostentatoires, voyait sa fortune compromise. Un ennemi puissant, qui lui avait suscité un procès, travaillait à sa perte. Romanianus était venu à Milan pour se défendre devant l’Empereur et se concilier l’appui des hauts personnages de la Cour. Et ainsi il fréquentait assidûment Augustin.

En dehors de ce petit cercle de compatriotes, le professeur de rhétorique avait de brillantes connaissances dans l’aristocratie