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en bon fonctionnaire, il estimait qu’il était temps, pour lui, de se ranger.

Dès lors, la séparation s’imposait. Comment la pauvre créature, qui lui était restée fidèle pendant tant d’années, accepta-t-elle ce renvoi ignominieux ? Quels furent les adieux de l’enfant Adéodat et de sa mère ? Comment enfin Augustin lui-même put-il consentir à le lui ôter ? Encore une fois, ce drame douloureux il a voulu le taire, par une pudeur bien compréhensible. Assurément, il n’était plus très épris de sa maîtresse, mais il tenait à elle par un reste de tendresse et par le lien si fort de la volupté partagée. Il l’a dit, en une phrase brûlante de repentir : « Quand on arracha de mes flancs, sous prétexte qu’elle empêchait mon mariage, celle avec qui j’avais coutume de dormir, depuis si longtemps, là où mon cœur était attaché au sien, il se déchira, — et je traînais mon sang avec ma blessure. » La phrase éclaire, en même temps qu’elle brûle : « Là où mon cœur était attaché au sien, — cor ubi adhaerebat... » Il avoue donc que l’union n’était plus complète, puisque, sur bien des points, il s’était détaché. Si » l’âme de sa maîtresse était restée la même, la sienne avait changé : il avait beau l’aimer encore, il était déjà loin d’elle.

Quoi qu’il en soit, elle se montra admirable, en cette circonstance, cette délaissée, cette misérable, qu’on jugeait indigne d’Augustin. Elle était chrétienne : elle devina peut-être (une femme aimante peut avoir de ces divinations) qu’il s’agissait non seulement du salut d’un être cher, mais d’une mission divine à laquelle il était prédestiné. Elle se sacrifia, pour qu’Augustin fût un apôtre et un saint, — un grand serviteur de Dieu. Elle s’en retourna donc dans son Afrique, et, pour prouver qu’elle pardonnait, si elle n’oubliait pas, elle promit de vivre dans la continence : « celle qui avait dormi » avec Augustin ne pouvait pas être la femme d’un autre homme.

De si bas qu’elle fût partie, la malheureuse fut grande à ce moment-là. Sa noblesse d’âme humilie Augustin et Monique elle-même, qui, d’ailleurs, ne tardèrent pas à être punis, lui de s’être laissé entraîner à de sordides calculs d’intérêt, elle, la sainte, d’y avoir été trop complaisante. Dès que sa maîtresse s’en fut allée, Augustin souffrit de sa solitude, « Il me semblait, dit-il, que ce serait, pour moi, le comble de la misère que d’être privé des caresses d’une femme. » Or sa fiancée était