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sécheresse d’âme, avec tout autant de pédantisme, mais un pédantisme si ingénu ! Ils se sauveront par là, — par leur générosité d’âme, par leur jeunesse de cœur. Ils s’aiment entre eux, ils finiront par aimer la vie et par reprendre contact avec elle. Nébride vient de Carthage à Milan, abandonne sa mère et sa famille, délaisse des intérêts considérables, non pas seulement pour philosopher avec Augustin, mais pour vivre avec un ami. Dès ce moment, ils auraient pu mettre en pratique ces paroles du psaume, que, bientôt, Augustin va commenter à ses moines, avec une si tendre éloquence : « Voici qu’il est bon et doux que des frères habitent sous le même toit. »

Cela n’est pas une hypothèse gratuite : ils eurent réellement l’intention de fonder une sorte de monastère laïque, où l’unique règle serait la recherche de la vérité et de la vie heureuse. On devait être environ une dizaine de solitaires. On mettrait en commun tout ce que l’on possédait. Les plus riches, comme Romanianus, promettaient d’apporter toute leur fortune à la communauté. Mais la question des femmes fit avorter ce naïf projet. On avait négligé de les consulter, et si, comme il était probable, elles refusaient d’entrer au couvent avec leurs maris, ceux qui étaient mariés s’effrayaient à l’idée de se passer d’elles. Augustin, en particulier, qui était sur le point de convoler, avouait qu’il ne se sentirait jamais un tel courage. Il oubliait aussi qu’il avait charge d’âmes : toute sa famille ne vivait que de lui. Pouvait-il laisser sa mère, son enfant, son frère et ses cousins ?

Avec Alypius et Nébride, il s’affligeait sincèrement de ce que ce beau rêve de vie cénobitique fût irréalisable : « Nous étions, dit-il, trois bouches affamées, qui ne s’ouvraient que pour déplorer leur mutuelle indigence, et qui attendaient de toi, mon Dieu, leur nourriture au temps marqué. Et. dans toute l’amertume que ta miséricorde répandait sur nos actions mondaines, si nous voulions considérer la fin de nos souffrances, nous ne voyions que ténèbres. Alors, nous nous détournions, en gémissant, et nous disions : Combien de temps encore cela durera-t-il ?... »

Un jour, la rencontre d’un menu fait banal leur fit sentir plus cruellement leur misère intellectuelle. Augustin, en sa qualité de rhéteur municipal, venait de prononcer le panégyrique officiel de l’Empereur. La nouvelle année commençait :