Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 15.djvu/961

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

retrancher et nous reformer à plusieurs centaines de kilomètres en arrière. Nous reconquerrions ensuite le terrain perdu, si nous pouvions : en attendant, l’ennemi exploiterait à son profit et frapperait de taxes de guerre écrasantes la partie la plus populeuse et la plus riche de la France. Son infériorité en numéraire serait ainsi compensée. Le projet de M. Jaurès aura de la peine à se relever des critiques de M. Lefèvre : celui de M. Chautemps ne sera pas plus heureux. M. Lefèvre a montré, toujours avec des chiffres, que, dans le système de M. Chautemps, notre armée de première ligne sera toujours plus faible que l’armée de première ligne allemande ; notre couverture sera insuffisante, elle sera déchirée et dispersée ; il y a du moins tout lieu de le craindre par la simple comparaison des forces en présence. Le service de trois ans, ou du moins un service qui s’en rapproche, pourra, seul, nous préserver du danger. On remarquera cette atténuation. M. Lefèvre, bien qu’il accepte dans son principe le projet du gouvernement, a ouvert la porte à des amendemens sur ce qu’il appelle les modalités d’exécution. Cette partie de son discours, que M. Caillaux a pu applaudir, appelle des réserves. On se demande à quelles modalités M. Lefèvre se ralliera. Son discours n’en reste pas moins une œuvre puissante : l’effet qu’il a produit sur la Chambre a été très grand et nous espérons qu’il subsistera.

Pourtant M. Lefèvre lui-même n’a rien dit de bien nouveau : son art a consisté surtout à grouper ses argumens et à les présenter sous une forme saisissante. L’action oratoire y a ajouté de la force. Mais que la guerre, quand elle éclatera, procède par une attaque brusquée, et que ce soit l’intérêt de l’Allemagne de procéder ainsi, et qu’elle ait tout préparé en conséquence, combien de fois ne l’a-t-on pas dit et qui donc, depuis longtemps déjà, pourrait en douter ? Les armemens actuels donnent à ces intentions l’éclat de l’évidence. Nous ne disons pas que l’Allemagne veuille la guerre et qu’elle soit résolue à la faire ; nous sommes même convaincu du contraire ; mais elle se prépare, pour y faire face, à toutes les éventualités possibles, comme c’est le devoir d’un grand pays et d’un grand gouvernement. Si c’est le sien, c’est aussi le nôtre. Si l’Allemagne renforce son armée active, nous devons renforcer la nôtre. Si elle consolide sa couverture, nous devons consolider la nôtre. Et nous ne sommes pas libres de faire autrement. Il est probable qu’on ne dira pas autre chose dans la discussion qui se prolonge, car toute la loi est là !


Nous serons très brefs sur la situation extérieure : nos lecteurs