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Héraclide de Pont et Aristarque de Samos [vers 280 av. J.-C] renversèrent donc les données du Stagirite : à les entendre, c’était la terre qui remuait, et le soleil qui restait immobile ! Mais on refusa de les suivre : au jugement de tous, le soleil était un dieu, peut-être même était-il Dieu ; et l’on n’avait pas accoutumé de se le figurer au repos. Hipparque de Rhodes [vers 128 av. J.-C] et Ptolémée de Péluse [vers 145 après J.-C], — pour ne parler que de ces deux-là, — imaginèrent donc une troisième théorie, moins révolutionnaire : la terre continuait d’occuper le centre du monde ; quant aux inégalités du mouvement planétaire, on les expliquait en admettant que les planètes décrivent un épicycle, c’est-à-dire une circonférence dont le centre trace lui-même un cercle (excentrique) au monde ; du soleil, on croyait que son mouvement se peut représenter, soit par un épicycle roulant sur un cercle concentrique au monde, soit par une circonférence dont le centre ne coïncide pas avec le centre du monde.

Cette réforme de la science aristotélicienne laissait subsister le grand principe que le monde se compose de deux parties hétérogènes ; mais elle se complétait par ailleurs de vues toutes différentes. Aristote pratique avec un confiant dogmatisme ce qu’il appelle la méthode du physicien : il croit avoir saisi l’essence des choses célestes et il en déduit la nature de leurs mouvemens ; il n’éprouve aucun doute touchant la réalité objective de ces mouvemens et de cette essence. Hipparque, au contraire, et Ptolémée, suivant avec modestie la méthode de l’astronome et les leçons de Platon, ne croient plus pouvoir se représenter avec exactitude les mouvemens vrais que décrivent effectivement les astres ; partant des faits observés ils veulent remonter à leurs causes possibles ; leur ambition se borne à combiner, suivant les lois de la géométrie, des cercles et des mouvemens hypothétiques, de telle sorte que s’expliquent les phénomènes constatés, que soient sauvées les apparences ; à les entendre, ces mouvemens et ces cercles sont des abstractions pures, uniquement utiles aux astronomes, devenus capables, grâce à elles, de calculer les phénomènes célestes. « Les dieux (seuls) ont un plus sûr jugement. »

La science du monde sublunaire, — c’est notre terre que je veux dire, — était beaucoup moins avancée que l’astronomie, mais on lui attribuait une portée objective, une vérité absolue.