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au produit de trois facteurs : « une fonction croissante de vitesse, le volume du corps, et une densité proportionnelle au poids spécifique. » Son illustre disciple, Albert de Saxe, accepte intégralement cette dynamique révolutionnaire : il l’enseigne, la propage, la précise même en certain point.

Tous deux en déduisent, peut-on croire, qu’Aristote rêvait donc en affirmant que la vitesse du mouvement violent commence par croître. Tous deux en déduisent, — mais il semble qu’ici Albert ait insuffisamment compris ou à demi rejeté la pensée de son maître, — que l’accélération de la chute des graves est due à un impetus qui s’ajoute à la pesanteur du mobile et qui s’accroît sans cesse : les diverses théories aristotéliciennes sont aussi fausses que celles qui leur sont opposées. En revanche, Albert seul étudie la distribution des vitesses, précise comment, d’une partie à l’autre d’un mobile, varie la vitesse en un mouvement difforme et comment, en un mouvement irrégulier, la vitesse varie d’un instant à l’autre. La cinématique surgit, dont Aristote n’avait pas idée.

De même, une nouvelle théorie du mouvement apparaît. Si l’on continue, avec Aristote, à montrer le lieu d’un corps en la partie contiguë du milieu qui contient ce corps et le protège, on refuse d’accorder l’immobilité au lieu ainsi défini et l’on n’emploie plus cette notion de lieu contigu pour décrire le mouvement local. L’élément fixe que postule la pensée pour comprendre celui-ci n’est pas davantage un solide concret ; — on cesse donc de démontrer par le mouvement du ciel l’immobilité de la terre : — ce repère fixe est, pensent les Scotistes, l’ubi du mobile, j’entends l’espace vide qu’il comble, sa position par rapport à d’autres corps, soit réels, soit idéaux. Quant au mouvement, il apparaît aux disciples de Duns Scot, à Jean le Chanoine par exemple, comme une continuité réelle, un écoulement effectif, forma fluens, ens continuativum ; pareillement, le temps objectif, véritable durée fluente. Et la pensée, croit-on, altère nécessairement l’essence de l’un et de l’autre dès qu’elle tâche à les comprendre : elle leur substitue des séries d’états distincts, esse discretum, qui n’ont qu’une valeur conceptuelle et correspondent à l’esse continuativum sans lui être identiques[1].

  1. Johannes Canonicus, Quaestiones super VIII Physicorum libros Aristotelis, livre III, quest. 1, art. 1-3 ; livre IV, quest. 5. Ad secund. art. — Cette théorie scotiste, qui annonce, on le voit, certaines théories de M. Bergson, dérive d’une doc-