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Touchant la pesanteur, les Maîtres Parisiens sont divisés par un grave désaccord. Au dire du Stagirite et de Themistius son disciple, c’est une qualité inhérente au corps et par laquelle celui-ci tend vers son lieu naturel, où sa forme atteint sa perfection, où sa propre conservation est le mieux assurée. (Qui sait si le concept de lieu naturel n’a pas été tiré par voie de généralisation de l’idée de santé ?) Certains docteurs de Paris acceptent cette théorie : Albert de Saxe en déduit que chaque grave « désire » s’unir au centre du monde ; qu’en tout grave formant une individualité, il se trouve un centre de gravité, et que, en toute chute libre, c’est ce centre de gravité qui « tend » à rejoindre le centre du monde. Puis, donnant à sa pensée un développement inattendu, et qui va exercer sur la science une influence considérable, « la terre se meut, » prétend-il, car son centre de gravité désire constamment se placer au centre du monde ; or la position du centre de gravité change sans cesse, en raison de l’érosion produite par les fleuves qui creusent les vallées ou comblent les mers. S’émancipant alors du Stagirite, Albert de Saxe insiste sur l’importance de l’eau dans le modelage de la surface de la terre ; contre Avicenne même, il spécifie exactement son rôle niveleur en lui opposant le soulèvement lent des terres immergées. — Mais Buridan, et quelques autres, très peu nombreux à ce qu’il semble, rejettent ces théories : le centre de la terre, disent-ils, le centre du monde, comme les points, les lignes, les surfaces, tout cela n’a rien de positif, ni de réel ; on n’y doit voir que des concepts abstraits, dénués de propriétés physiques ; imaginer que les diverses parties de la terre « tendent » vers un centre commun, que les diverses parties du monde « désirent » se placer en un centre commun, que ces deux centres communs coïncident, ce géocentrisme radical leur paraît rêverie mythologique, et creuse. La pluralité des mondes est chose possible. Il est faux, en revanche, prétendent-ils, de nier avec Aristote la possibilité d’une action à distance : la doctrine de l’impetus nous dispose à comprendre le phénomène de l’attraction ; et l’expérience de l’aimant aspirant le fer en démontre la réalité.

    trine de Damascius ; elle est acceptée plus ou moins complètement par Buridan et Albert de Saxe, Paul de Venise et Gaétan de Tiène. Elle est rejetée par Guillaume d’Ockam et Grégoire de Rimini : ceux-ci gardent seulement les théories de Scot touchant le rôle du lieu dans le mouvement local, l’immobilité du lieu, la localisation de l’orbite suprême.