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Ces idées anti-péripatéticiennes sont reprises et développées par Nicole Oresme. Voici, clairement formulé par lui, le principe de la théorie parisienne de la pesanteur : « L’ordenance naturèle des choses pesantes et des légières est telle que les pesantes toutes, selon ce qu’il est possible, soient au milieu des légières, sans déterminer à elles aucun lieu immobile. » On devine les conséquences d’un pareil principe. « La pesanteur de la terre n’exige plus, comme en la physique d’Aristote, que la terre demeure immobile au centre du monde ; entourée de ses élémens dont les plus légers enveloppent les plus lourds, elle peut se mouvoir dans l’espace à la manière d’une planète ; et, d’autre part, rien n’empêche que chaque planète ne soit formée par une terre grave qu’environnent une eau, un air, un feu analogues aux nôtres. La doctrine nouvelle permet de comparer entre elles la terre et les planètes, ce que la théorie du Lycée interdisait d’une manière rigoureuse. » En celles-ci comme en celle-là, le mouvement naturel d’un corps le porte à rejoindre l’élément auquel il appartient.

De cette mécanique, Oresme déduit qu’il est hautement fantaisiste d’affirmer l’immobilité de la terre. Il n’est pas d’expérience, il n’est pas de raisonnement qui la puisse démontrer ; l’Écriture n’oblige aucunement à l’admettre ; au contraire, que « de belles persuasions à montrer que la terre est meue du mouvement journal, et le ciel, non[1]. » Un même corps peut prendre naturellement deux mouvemens simples… Contre l’objection des Aristotéliciens, Oresme explique comment les corps semblent tomber selon la verticale : il admet que leur mouvement se compose d’une chute suivant la verticale et d’une rotation diurne, toute semblable à celle de la terre. — Et voilà rejetée, en même temps que la théorie d’Aristote, la théorie d’Hipparque et de Ptolémée !… La théorie héliocentrique redevient possible.

Mais Nicole Oresme n’a pas été seulement, mieux encore qu’Albert de Saxe, le précurseur de Copernic, « il a été aussi le précurseur de Descartes et le précurseur de Galilée ; il a inventé la géométrie analytique, il a établi la loi des espaces qu’un mo-

  1. Voyez sa traduction avec commentaire du traité du Ciel et du Monde d’Aristote [Bibl. Nat. fr. 565 et 1083], livre II, 25. Cf. Duhem, Un précurseur français de Copernic : Nicole Oresme (1377), dans la Revue générale des Sciences du 15 novembre 1909.