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II. — PORDENONE

D’Udine à Pordenone, la route presque droite n’offre rien de très pittoresque. Elle suit en quelque sorte le diamètre de la demi-circonférence que tracent les Alpes Carniques autour du Frioul. Mais la course est charmante, dans la joie du matin, au milieu des prés miroitant de rosée. Une brume estompe les lointains. La chaussée humide est aveuglante comme un ruban d’acier étalé au soleil.

On avance au milieu des souvenirs de l’Empire et de la prodigieuse épopée du jeune Bonaparte. Frioul et Haute-Vénétie sont semés de villes qui ont donné leurs titres aux maréchaux et aux généraux de la glorieuse armée. Après un siècle, les anciens exploits sont restés vivans et il n’est guère d’osteria dont les murs ne soient encore ornés de vieilles gravures relatant les épisodes d’Arcole ou de Rivoli. Jamais sur cette terre italienne, — malgré les nuages passagers, — le Français ne sera l’ennemi. Et je ne sais de plus bel éloge pour un vainqueur.

Après Campo-Formio, où expira la république de Venise, la route monte légèrement pour atteindre les rives du Tagliamento que l’on franchit sur un interminable pont qui doit avoir près d’un kilomètre. Le torrent a tellement arraché de cailloux aux Alpes proches que, peu à peu, son lit s’est exhaussé au-dessus de la plaine et que les villages voisins de Codroipo et de Casarsa sont, sur chaque rive, à une dizaine de mètres plus bas que le niveau de la rivière.

Le haut campanile de Pordenone émerge des abondantes verdures qui égaient la ville. Places et avenues sont plantées de marronniers et de platanes énormes. A l’horizon, le Monte Cavallo, déjà couvert de neige, dresse son dos puissant. Si les étrangers sont rares à Udine, ici, ils doivent être presque inconnus, à en juger par la curiosité que j’éveille. Peu de choses à voir d’ailleurs dans la ville natale de Pordenone, où je croyais que le peintre était mieux et plus abondamment représenté. Dans la salle des séances du municipe, où est installé le petit musée local, je n’ai trouvé qu’un Groupe de saints, assez remarquable de facture et de coloris, et une étroite fresque qui, au dire du gardien, aurait été enlevée de la maison habitée par