l’artiste ; c’est une sorte de ballet champêtre, très différent de tout ce que je connais de lui. Au Dôme, presque même pénurie : dans le chœur, une Gloire de saint Marc, abîmée et inachevée ; sur un pilier, deux figures en assez mauvais état, un Saint Érasme et un Saint Roch auquel Pordenone aurait donné ses traits ; enfin, à l’autel Saint-Joseph, un beau panneau, exécuté en 1515, la Vierge trônant entre saint Christophe et saint Joseph ; la Vierge, qui couvre de son manteau quatre dévots donateurs, a un visage délicieusement enfantin et le paysage, où l’on reconnaît Pordenone, est d’une grâce exquise. Mais enfin, tout cela ne suffit pas pour bien juger l’artiste ; si je n’avais vu ses fresques de Crémone et de Plaisance, je me ferais une très fausse idée de celui qui eut l’ambition d’égaler Titien, et dont la peinture brutale, violente, dramatique, désordonnée, prouve la vérité, pour les artistes comme pour les écrivains, du mot de Buffon : « Le style, c’est l’homme. » Pordenone, en effet, batailla toute.sa vie avec les uns et les autres, même avec son frère, et il est probable qu’il mourut empoisonné par un ennemi. Chez lui, la puissance et le mouvement font parfois penser à Rubens ou à Michel-Ange qui, paraît-il, appréciait beaucoup son talent. Nul, en tout cas, n’eut de son temps plus de virtuosité ; sans accepter à la lettre le récit de Vasari qui nous parle d’une enseigne de magasin peinte en quelques minutes, pendant que le commerçant était allé à la messe, il est certain qu’il eut une extraordinaire facilité et cette bravura du pinceau, si nécessaire aux peintres de fresques. Mais ne cherchez, dans l’œuvre de Pordenone, ni grâce, ni mesure, ni pensée surtout. Tantôt il imite Giorgione, tantôt Palma, tantôt Titien ; suivant la juste remarque de Burckhardt, il est tou- jours superficiel et, dans ses meilleures créations, il n’y a pas cette absorption par le sujet, ce renoncement de soi qui est l’art des grands maîtres. Il cherche et parvient à étonner ; il n’arrive pas à séduire. Celui qui rêva d’éclipser Titien reste surtout pour nous le désastreux prédécesseur des Bolonais.
Au sortir de Pordenone, la route se rapproche rapidement des montagnes que l’on rejoint à Sacile, petite ville sur la Livenza, encore entourée de ses murs et de ses fossés. ; Les